Articles de julien-cadeau
Disponibilité du mémoire sur le site Archipel de l'UQAM
Bonjour,
Ce petit message pour les personnes intéressées pour lire mon mémoire mais que la présentation actuelle a découragée, le site de l'UAQM, Archipel, l'a maintenant mis en ligne. Vous le trouverez sur le lien suivant. La lecture en est simplifiée et plus confortable. Bonne lecture.
Genre et comics : Mon mémoire de sexologie
La Covid a ralenti la publication sur le site de l'UQAM, l'Université du Québec à Montréal, de mon mémoire de maitrise de recherche en sexologie. Je le mets donc dés à présent en libre accés sur le net et par mon site. Le titre de ce mémoire est le suivant : GENRE ET SUPER POUVOIRS : UNE ANALYSE DES REPRÉSENTATIONS DE L’AGENTIVITÉ DES FEMMES MUTANTES DANS LES COMICS X-MEN.
Merci à l'UQAM pour m'avoir enseigné et un merci tout particulier à Julie Lavigne qui m'a managé et dirigé pour ce résultat. Merci de toi. Merci d'être toi.
Le résumé de ce mémoire est le suivant :
Si le genre influence la structure des films et la manière de représenter les hommes et les femmes, il semble intéressant d’observer l’application de ce même phénomène dans
d’autres médias. Les comics, bandes dessinées américaines, s’avèrent un terrain de travail pertinent pour interroger ces questions.
À la fois produit et miroir des changements sociaux, les comics permettent d’approcher l’influence du genre. Parmi les personnages de comics, une catégorie semble s’imposer pour l’étude du pouvoir, les mutantes. Dotés de pouvoirs s’exprimant au moment de l’adolescence, ces personnages féminins particuliers sont plus susceptibles de s’éloigner des représentations traditionnelles du genre féminin (victime, objet de désir, personnage secondaire). Appartenant à Marvel, ces personnages permettraient de caractériser l’éditeur comme progressiste (Gabilliet, 2005). L’agentivité, le pouvoir d’agir, semble un concept pertinent pour interroger la répartition des pouvoirs et la parité dans les comics.
En se basant sur les recherches de Darowski (2014) et de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018), le présent travail mêle des approches quantitatives et qualitatives pour dresser un portrait des mutantes et de leurs représentations à travers huit périodes de publication. Notre étude s’intéresse à l’agentivité sociale, l’agentivité d’indépendance et l’agentivité de pouvoir à travers les marqueurs d’agentivité ciblés par Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) : les idées suggérées, les actes indépendants et l’utilisation des pouvoirs. Afin de raffiner nos résultats, nous ajoutons une observation de l’agentivité sexuelle à travers les expressions de la sexualité et les obstacles qui contraignent la sexualité. Nos résultats montrent l’absence de parité. Le portrait de l’agentivité des mutantes à travers le temps montre une progression jusque dans les années 1980 puis une chute de l’occurrence des marques d’agentivité, tel un retour de bâton punitif. L’évolution de l’agentivité sexuelle nous montre une autre période propice aux personnages féminins dans les années 2000, mais suivie elle aussi par une chute des résultats. La répartition du pouvoir semble inégale et reproduit la domination du genre masculin sur le genre féminin. Le statut de Marvel comme progressiste ou non reste donc à définir puisqu’alternant des périodes de progrès et de régressions.
Mots clés : comics, genre, agentivité, agentivité sexuelle
Ce mémoire n'est certainement pas parfait, reste perfectible, était vrai à l'époque où je l'ai écrit et conceptualisé. Il n'a pas pour but d'être une certitude inaliénable mais bien une tentative d'écrire sur un sujet qui me tenait à coeur, les mutants dans les comics.Je reste convaincu de la profondeur que la culture populaire peut apporter à tout sujet et qu'elle vient à tout moment supporter des théses et illustrer des concepts. Les notes de bas de pages se trouvent à la toute fin du document, aprés la bibliographie.
Bonne lecture et prenez soin de vous.
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
Genre et super Pouvoirs : une analyse des représentations de l’agentivité DES FEMMES MUTANTES dans les comics X-Men
MÉmOIRE
PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE PARTIELLE
MAÎTRISE DE SEXOLOGIE (M.A.) Cheminement recherche et intervention
PAR
JULIEN CADEAU
JuIn 2019
Merci à Julie Lavigne de m’avoir accompagné dans cette aventure et de m’avoir guidé chaque fois que je perdais mon chemin.
Merci à mes autres professeurs pour leurs conseils de faisabilité et d’écriture.
Merci à Flavien de m’avoir supporté dans tous les sens possibles du terme durant l’élaboration de ce travail et le long de mes sessions d’études de maîtrise.
Merci à ma mère d’avoir perçu et soutenu ma consommation de comics depuis l’enfance et d’y avoir reconnu un intérêt légitime
dédicace
À mes familles de cœur et de sang
Charles: And, by the way, Laura’s foot claws are the obvious result a of her gender, you know.
Logan : Is that a fact ?
Charles: In a pride of lions, the female is both hunter and caregiver.
Logan : Good to know.
Charles: She uses her front claws for hunting and the back claws defensively.
Logan : Oh yeah ?
Charles: Thus, ensuring their survival.
Logan, film de James Mangold, 2017
Mutants possess so much power
(Uncanny X-men#242)
Table des matières
1.1 Le succés grandissant des Comics. 3
1.2 Les genres : différenciation et inégalité. 4
1.3 Le média comme outil d’analyse des genres. 5
1.4 L’agentivité et la sexualité dans les Comics. 6
CHAPITRE II ÉTAT DES CONNAISSANCES. 9
2.1 Les comics, questions de terminologie. 9
2.2 Sexualité et censure dans les comics. 10
2.3 Les comics en tant que médias. 11
2.4 Normes de genre dans les comics. 13
2.4.1 Diffusion des normes de genre. 13
2.4.2 La différenciation des genres dans les comics. 17
2.5 Les mutantes et la question des (super) pouvoirs. 25
2.6 L’agentivité dans les comics. 31
CHAPITRE III CADRE CONCEPTUEL. 34
4.1.1 Portrait statistique de la parité dans les comics. 48
4.1.2 L’étude des portraits de l’agentivité. 52
4.3.1 Nombre et fréquence d’apparition des mutants. 57
4.3.2 Profils des mutantes de notre échantillon (corpus) 61
4.4.1 L’agentivité sociale. 69
4.4.2 L’agentivité d’indépendance. 73
4.4.3 L’agentivité de pouvoir 78
4.4.4 L’agentivité sexuelle. 82
4.5 Interprétation des résultats. 90
4.5.1 Discussion des résultats par périodes. 90
4.5.2 Points communs à toutes les périodes. 99
4.7 Ouverture et application. 112
ANNEXE A QUELQUES INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES SUR LES COMICS. 116
ANNEXE C DÉFINITION DES POUVOIRS. 121
ANNEXE D GRAPHIQUES COMPLÉMENTAIRES. 123
Figure Page
2.4 Figure 1 : Psylocke représentée en brokeback pose par Jim Lee sur un scénario de Chris Claremont dans X-men #1 publié en octobre 1991........ 21
4.4 Graphique 1 : Capacité d'agir sexuellement des mutantes dans les comics X-men.......................................................................................................... 82
4.4 Graphique 2 : Réduction de l'agentivité sexuelle des mutantes dans les comics X-men.............................................................................................. 85
Tableau Page
4.1.1 Tableau 1 : Organisation des périodes de publications des X-men entre 1963 et 2015 ............................................................................................... 50
5.1 Tableau 2 : Répartition du nombre de mutants introduits dans la série X-men entre 1963 et 2015 selon le genre ....................................................... 58
5.1 Tableau 3 : Répartition de création et d’apparition des mutants dans la série X-men selon le genre et la période de publication....................................... 59
5.1 Tableau 4 : Fréquences d’apparition des mutants et proportion des fréquences d’apparition des mutantes dans la série X-men selon le genre et la période de publication ............................................................................ 60
5.1 Tableau 5 : Caractéristiques des mutantes de l’échantillon (orientation sexuelle, partenariat, groupe ethnoculturel d’appartenance)....................... 62
5.1 Tableau 6 : Autres caractéristiques des mutantes de l’échantillon (pouvoirs et rôles)........................................................................................................ 64
5.2 Tableau 7 : Nombre de mutants ayant suggéré des idées acceptées et nombre d’idées suggérées acceptées par période de publication................ 69
5.2 Tableau 8 : Nombre de mutantes ayant suggéré une idée refusée et nombre d’idées suggérées refusées selon la période de publication......................... 72
5.2 Tableau 9 : Nombre de mutantes ayant mené des actions indépendantes et nombre d’actions indépendantes selon la période de publication............... 74
5.2 Tableau 10 : Nombre de mutantes empêchées d’agir de manière indépendante et nombre de situations empêchant l’indépendance selon la période de publication................................................................................. 76
5.2 Tableau 11 : Nombre de mutantes dont la capacité à utiliser son pouvoir est réduite et nombre de situations où la capacité d’utiliser son pouvoir est réduite selon la période................................................................................ 80
5.2 Tableau 12 : Nombre de mutantes agissant sexuellement et nombre d’actions sexuelles selon la période............................................................ 82
5.2 Tableau 13 : Nombre de mutantes dont l’agentivité sexuelle est freinée et nombre de situations de réduction de l’agentivité sexuelle selon la période 85
Si le genre influence la structure des films et la manière de représenter les hommes et les femmes, il semble intéressant d’observer l’application de ce même phénomène dans d’autres médias. Les comics, bandes dessinées américaines, s’avèrent un terrain de travail pertinent pour interroger ces questions.
À la fois produit et miroir des changements sociaux, les comics permettent d’approcher l’influence du genre. Parmi les personnages de comics, une catégorie semble s’imposer pour l’étude du pouvoir, les mutantes. Dotés de pouvoirs s’exprimant au moment de l’adolescence, ces personnages féminins particuliers sont plus susceptibles de s’éloigner des représentations traditionnelles du genre féminin (victime, objet de désir, personnage secondaire). Appartenant à Marvel, ces personnages permettraient de caractériser l’éditeur comme progressiste (Gabilliet, 2005). L’agentivité, le pouvoir d’agir, semble un concept pertinent pour interroger la répartition des pouvoirs et la parité dans les comics.
En se basant sur les recherches de Darowski (2014) et de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018), le présent travail mêle des approches quantitatives et qualitatives pour dresser un portrait des mutantes et de leurs représentations à travers huit périodes de publication. Notre étude s’intéresse à l’agentivité sociale, l’agentivité d’indépendance et l’agentivité de pouvoir à travers les marqueurs d’agentivité ciblés par Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) : les idées suggérées, les actes indépendants et l’utilisation des pouvoirs. Afin de raffiner nos résultats, nous ajoutons une observation de l’agentivité sexuelle à travers les expressions de la sexualité et les obstacles qui contraignent la sexualité. Nos résultats montrent l’absence de parité. Le portrait de l’agentivité des mutantes à travers le temps montre une progression jusque dans les années 1980 puis une chute de l’occurrence des marques d’agentivité, tel un retour de bâton punitif. L’évolution de l’agentivité sexuelle nous montre une autre période propice aux personnages féminins dans les années 2000, mais suivie elle aussi par une chute des résultats. La répartition du pouvoir semble inégale et reproduit la domination du genre masculin sur le genre féminin. Le statut de Marvel comme progressiste ou non reste donc à définir puisqu’alternant des périodes de progrès et de régressions.
Mots clés : comics, genre, agentivité, agentivité sexuelle
Mulvey (1975) à l’aide de la psychanalyse dénonce l’influence inconsciente du pouvoir patriarcal sur le cinéma. De manière inconsciente, la structure des films reposerait sur des représentations de femmes modelées d’après les fantasmes et les goûts des spectateurs masculins. Les personnages masculins, eux, sont les détenteurs agissants de l’action et du regard, donc du pouvoir. Faisant référence à l’identification du spectateur pour le héros, Mulvey (1975) incite à penser le cinéma comme un espace et un média où s’exprime les enjeux de pouvoir et d’objectification aux dépens du genre féminin. Les autres médias semblent reproduire la même logique. Dans les comics, bandes dessinées américaines, on trouve des personnages féminins nommés mutantes. Ce sont des humains, porteurs d’une différence génétique qui leur confère un pouvoir spécifique (par exemple, une super force, la télékinésie, la téléportation) se manifestant à l’adolescence. Les mutantes, en tant que personnages puissants, sembleraient à même de renverser le système de pouvoirs. Pour vérifier cette hypothèse de départ, nous nous proposons d’analyser l’agentivité de ces personnages. L’agentivité est la capacité à décider de ses choix et de ses comportements, mais aussi la capacité d’agir d’une personne (Lang, 2011). L’agentivité est une compétence positive qui peut se développer. Enfin, l’agentivité se manifeste à travers la représentation des genres, entre autres féminins et masculins, à travers ce qui est montré en termes de comportements, de caractéristiques ou d’attribution. Le contenu sexuel implicite lié aux mutantes incite à penser que ces personnages seront particulièrement agentifs et que les représentations du genre féminin seront non traditionnelles. Les comics X-men relatant les aventures des mutants, nous semble donc un choix privilégié pour étudier cette question. Riche de nombreux épisode, la série évolue avec le temps et semble se faire le reflet des changements sociaux. L’agentivité des mutantes suivrait donc aussi une évolution. L’étudier participe à l’accumulation des connaissances sexologiques sur la représentation sociale des genres. D’abord dans le chapitre I, nous exposerons notre problématique en survolant les thèmes des relations entre comics et genre, sexualité, mutants, et pouvoirs. Nous présenterons également la pertinence scientifique de notre recherche, nos questions de recherche et nos objectifs. Ensuite, dans le chapitre II, nous présenterons un état des connaissances englobant les comics, les normes de genre qui y sont présentées, le concept de mutant et l’agentivité dans les comics. Le chapitre III fera état du cadre théorique qui repose sur les concepts de genre, d’agentivité et d’agentivité sexuelle. Le chapitre IV exposera la justification de l’usage d’une méthode mêlant portrait statistique et qualitatif, ainsi que les principales étapes de notre recherche. Les résultats de notre analyse seront présentés dans le chapitre V. Finalement, dans le chapitre VI, nous discuterons de nos résultats à la lumière des éléments tirés de l’état des connaissances et notre cadre théorique. Ce chapitre se conclura avec les retombées potentielles d’une telle recherche dans la discipline de la sexologie.
1CHAPITRE I
PROBLÉMATIQUE
1.1Le succés grandissant des Comics
Les comics sont très populaires. On estime à 84 millions le nombre de comics diffusés en Amérique du Nord en 2018 pour Miller (2019). Les ventes générées représentent 516 millions de dollars US. De plus, les comics introduisent des superhéros qui suscitent l’engouement. Par exemple, le film Avengers: Endgame trône déjà au box-office de 2019 et au cinquième rang des recettes les plus importantes avec prés de 3 milliards de dollars US (IMDB, 2019). La multiplication des séries Marvel sur Netflix participe aussi de ce succès. Et Disney, l’actuel propriétaire de la maison d’édition Marvel annonce le lancement de sa propre plate-forme de streaming, Disney +, pour l’hiver 2019 réunissant les franchises Disney, Marvel et Star Wars (LeMonde.fr, 2019). Au regard de la popularité des comics et de leurs univers, il importe donc de s’interroger sur les idées qu’ils véhiculent, notamment en matière de sexualité, de genre et d’agentivité. Une analyse détaillée de ces éléments permettra de faire état des représentations de genre et sexuelles véhiculées dans une culture populaire qui rejoint de plus en plus de jeunes et d’adultes émergents.
1.2Les genres : différenciation et inégalité
Les femmes sont sous-représentées par rapport aux hommes dans les séries télévisées (Ghosn, 2017) et dans les comics (Cocca, 2016). Les femmes sont aussi représentées comme inférieures aux hommes (Klein, 2016). Ces affirmations vont dans le sens d’observations empiriques concernant la place des femmes dans les sociétés. Les femmes souffrent plus de contraintes que les hommes, notamment sexuellement (Summit et coll., 2016), et sont contraintes par un double standard
Le genre, loin de simplement distinguer les hommes des femmes, est un enjeu de taille. Il interroge les notions d’appartenance, de reconnaissance, d’imposition et d’attribution. Kessler et McKenna (1978) parlent d’attribution du genre comme du processus qui vise à catégoriser la personne dans un genre ou dans l’autre. Cette attribution serait décisive dans la représentation qu’on se fait des genres. Appartenir à un genre ou être perçu comme d’un genre, féminin ou masculin, c’est, de manière automatique, se voir attribuer des caractéristiques, des préférences, des pratiques et des comportements. Ces croyances ou présuppositions sont transmises à travers des scénarios culturels et personnels, les scripts sexuels. Les scripts sexuels sont des constructions mentales qui procurent une dimension sexuelle à certains comportements, que ce soit dans la sphère relationnelle ou sociale, et qui définissent les actes adéquats à un rapprochement sexuel
1.3Le média comme outil d’analyse des genres
Appartenir à un genre, c’est aussi se voir imposer des règles, des prescriptions qui sont véhiculées par toutes sortes de canaux : les journaux, Internet, le cinéma, les programmes télévisuels, la littérature. Ward (2002) montre l’influence des portraits sexuellement stéréotypés, véhiculés par la télévision sur les attentes et attitudes envers la sexualité. Kim (Kim et coll., 2007) montre particulièrement l’influence des scripts liés aux genres véhiculés par la télévision et les magazines (Kim et Ward, 2004). La chercheure déplore, entre autres, le maintien d’une inégalité de pouvoirs entre les genres masculins et féminins (Kim et coll., 2007). Au sein des sous-catégories de la littérature elle-même, que ce soit dans les contes de fées, la littérature fantastique ou les bandes dessinées, on retrouve de mêmes idées véhiculées, en ce qui a trait au genre et à la sexualité. Les bandes dessinées américaines publiées de manière régulière, appelées comics, sont particulièrement considérées comme des outils de mesure de l’impact des changements sociaux dans une population (Wright, 2001).
« Comics, as a simple, formulaic medium, reflect basic, instinctual notions about gender that can appeal to a young readership. They are a particularly useful way to measure the impact – or at least the wide recognition – of social change on a general population. » (Wright, 2001, xv-xvi.)
Les rôles traditionnels sont ici à interpréter comme les fonctions et comportements attribués par usage et répétition aux personnages féminins en guise de rôles : victimes, objets sexuels ou de séduction, femme au foyer… Les rôles féminins non traditionnels présenteraient les personnages féminins en tant que sujets, agents de l’action ou exprimant des comportements contraires à ceux des usages habituels. La représentation de rôles féminins non traditionnels dans les comics influencerait donc les normes de genre et c’est ce que nous nous proposons d’étudier par la suite. Ces comics sont donc l’objet de notre attention, plus particulièrement leur traitement du genre et de la sexualité dans leurs cases. Or, le genre n’est pas une donnée fixe et les attributions liées au genre (pratiques, comportements) ne sont pas non plus statiques. Les comics permettent d’observer l’évolution de personnages et de leurs relations à leurs environnements sur de longues périodes. Les débuts d’histoires, souvent liés à la découverte des super-pouvoirs, montrent les balbutiements et l’incompétence des héros. Ce n’est qu’à l’issue d’entrainements et d’expériences, que les personnages apprennent à maitriser leurs compétences et prennent conscience de leur pourvoir d’agir.
1.4L’agentivité et la sexualité dans les Comics
L’évolution des personnages se manifeste donc particulièrement à travers la notion d’agentivité. L’agentivité permet de cerner la capacité à être acteur de ses propres comportements et influenceur de l’environnement. Or, si les pouvoirs ne sont pas également distribués dans les médias, il est nécessaire de se poser la question de la répartition des pouvoirs et super-pouvoirs dans les comics. Les changements les plus importants dans ce domaine touchent plutôt le genre féminin : droits obtenus, révolution sexuelle, développement du féminisme (Darowski, 2014). C’est à travers des personnages féminins, les mutantes, que nous étudierons l’agentivité représentée dans les comics.
La survenue du changement à l’adolescence des mutantes est porteuse de contenus sexuels : c’est au moment de développer des caractéristiques et des compétences sexuelles que les mutantes développent des compétences de (super-) pouvoirs. Rapprochant justement sexualité et super-pouvoirs, Kripal (2011) considère ces deux notions comme les deux facettes d’une même énergie métaphorique, confondues pendant les périodes de censure (jusqu’en 1990) puis concomitantes par la suite. L’auteur explicite le lien entre sexualité humaine et super-pouvoirs mutants en se basant sur l’expression « child’s mutant power usually manifests at puberty » tirée du comic Astonishing X-men#2 de 2004. On peut donc considérer la mutation comme une métaphore de l’adolescence.
Ce contenu sexuel implicite lié à la mutation nous invite à penser que les mutantes seront des personnages plus sexualisés puisque déjà porteuses d’une dimension sexuelle. Cette sexualisation dans les comics mérite tout notre intérêt. Comme les mutantes sont des personnages dotés de pouvoirs, il est cohérent de se demander si elles ne bénéficient pas d’une répartition plus égale des pouvoirs, voire d’une parité ce qui placerait l’éditeur Marvel comme progressiste. Serait progressiste, toute action qui viserait l’évolution et l’amélioration des conditions de vie de chacun en facilitant sa représentation, son acceptation, son respect, sa liberté d’agir. Dans le cadre de notre recherche, vu que les représentations graphiques vont dans le même sens que dans la société en général, les femmes sont plus souvent considérées comme des objets que des sujets. Les représenter comme ayant du pouvoir et de l’agentivité est en soi progressiste et féministe. On doit donc s’interroger sur l’évolution de l’agentivité et de la sexualité de ces mutantes. On s’attend à ce que cette agentivité progresse pour refléter les changements sociaux. Notre but est de voir si l’éditeur Marvel est progressiste et s’il a des valeurs féministes. Nous avons donc pour objectif de voir la place des personnages féminins dans les comics, le niveau d’importance qui leur est donné et le rôle actif qui leur est conféré. Notre question de recherche est donc la suivante : de quelle manière l’agentivité et la sexualité des mutantes sont-elles représentées et évoluent-elles ?
Ces prémisses nous incitent à nous poser les questions suivantes :
- Est-ce que les personnages sont paritaires ?
- Quelle place est donnée aux personnages féminins ?
- Quel portrait de l’agentivité est présenté dans les comics ?
Les trois objectifs suivants permettront d’atteindre ces buts secondaires :
- Dresser l’évolution socio-historique de la parité des genres chez les mutants dans les Comics X-Men.
- Décrire les expressions de l’agentivité et de la non-agentivité dans les Comics X-men chez les femmes mutantes.
- Documenter les expressions de l’agentivité sexuelle dans les Comics X-men chez les femmes mutantes.
2CHAPITRE II
ÉTAT DES CONNAISSANCES
Dans cette section, nous allons d’abord parler des comics, de leurs portées en tant que média. Puis, nous nous intéresserons aux influences du genre sur le contenu des comics, à travers la notion de normes de genre, c’est-à-dire ce qui est attendu culturellement du genre féminin ou masculin. Ces normes s’expriment par des stéréotypes de genre (Behm-Morawitz et Pennell, 2013) et un double standard (Madrid, 2016). Ces deux éléments se retrouvent dans la représentation des personnages féminins. Ensuite, de manière plus précise nous porterons notre attention sur les mutantes et l’agentivité. Commençons par une présentation des comics.
2.1Les comics, questions de terminologie
Les comics sont des images organisées en séquences. Les comic books sont des magazines américains de bandes dessinées (Duncan et coll., 2015). De manière culturelle, on a assimilé les comic books (sous-catégorie) au terme comics (grande catégorie), appellation que nous utiliserons par la suite pour faciliter la lecture. Des spécificités différencient les comics des bandes dessinées européennes ou des mangas japonais. D’abord, les formats sont différents (Lefèvre, 2000). Les comics sont des fascicules d’une trentaine de pages mesurant 16,83 cm par 26 cm. Ensuite, l’équipe créatrice composée de dessinateurs et scénaristes comprend aussi un éditeur et un directeur de publication qui participent à l’élaboration des personnages et de la narration. Enfin, cette équipe créatrice varie au fil d’une même série. Réservés au début aux enfants et adolescents, les comics ont aussi servi de matériel de propagande durant la Seconde Guerre mondiale puis ont gagné une certaine reconnaissance avec le temps (Gabilliet, 2005; Jennequin, 2002). On positionne dès lors les comics comme un média s’adressant à tous âges. Les comics étant nombreux et se perpétuant sur plusieurs décennies, on les catégorise fréquemment selon plusieurs époques très bien résumées par plusieurs auteurs (Cocca, 2016; Gabilliet, 2005). On distingue ainsi un âge d’or (1930-1949), un âge d’argent (1950-1969), un âge de bronze (1970-1985), un âge moderne (1985-2010), et enfin, un nouvel âge d’or (années 2010).
2.2Sexualité et censure dans les comics
Une place particulière est donnée à la sexualité dans les comics. En effet, elle est selon l’époque un contenu à censurer ou un argument de vente. L’histoire du Comics Code Authority créé en 1954, est un indicateur des changements sociaux qui impactent les comics. Le Comics Code Authority est un code mis en place pour protéger le lectorat enfant et adolescent. Considérant les écrits de Wertham (1954) à propos de l’influence des comics sur la délinquance juvénile, le code renforce ses interdictions quant au matériel horrifique, violent et sexuel. Concernant la sexualité, les interdits recouvrent la nudité, l’érotisme, la représentation des corps féminins de manière irréaliste, la prostitution et la sexualité illégale, l’homosexualité, le viol, la perversion, l’obscénité. Le Comics code Authority présente un cadre dans lequel la sexualité est bannie des pages des comics. On remarque que le code s’intéresse particulièrement aux personnages féminins et peu aux personnages masculins. Ce code établit des normes de représentations qui vont guider l’écriture et la représentation graphique durant les années 1950 et les années 1960. En conséquence, la sexualité ne se montre pas explicitement, mais « sous d’autres formes » (Madrid, 2016). Ne pouvant représenter la sexualité dans les pages des comics, les auteurs utiliseront d’autres moyens, comme la symbolisation (une représentation par un symbole) ou l’utilisation de codes provenant d’autres médias. En 1969, le Comics Code Authority évolue et se met à jour, puis est amendé en 1971 (Jetté, 1997). La sexualité n’est plus interdite de représentation. L’allègement du Comics Code Authority autorise dès lors une combinaison entre représentation de la sexualité et du genre super-héroïque (Madrid, 2016). Sexualité et pouvoirs deviennent donc des composantes interreliées qui atteignent un climax dans les années 2000 chez Marvel d’après Madrid (2016). Pour l’auteur, le phénomène survient comme si les anciens fans devenus scénaristes s’autorisaient à partager leurs fantasmes concernant les superhéros.
2.3Les comics en tant que médias
Les comics n’ont pas pour seul intérêt le reflet et la participation aux changements sociaux (Inness, 1999). Selon Duncan (2015), il y a quatre autres raisons pour lesquelles on doit étudier les comics. Les comics sont une forme d’art séquentiel unique. C’est ensuite un mode de communication mêlant prose et représentation picturale. Les comics étaient aussi un objet culturel très consommé par la jeunesse de la société américaine avant l’arrivée de la télévision. Enfin, les comics recèlent un potentiel illimité de représentation par les mots et les images. Toujours selon Duncan (2015), on a très tôt réalisé des études sur l’influence des comics. L’auteur liste deux thématiques principales : la délinquance juvénile (Lowery et DeFleur, 1995; Wertham, 1954; Wolf et Fiske, 1948) et les compétences de lecture. On retiendra particulièrement le livre Seduction of the innocent de Wertham (1954), qui dénonce l’influence des comics sur l’augmentation de la délinquance et des comportements inadaptés ou antisociaux. L’étude a participé à renforcer la censure jusqu’à la remise en cause scientifique des résultats et méthodes de recherche de l’étude de Wertham (Lowery et DeFleur, 1995). En ce qui concerne les apports des comics dans les compétences de lecture, la lecture des comics encourage la lecture en général (Haugaard, 1973), notamment dans sa notion de plaisir (Ujiie et Krashen, 1996). Par ailleurs, les comics n’empêchent pas le passage à des livres non illustrés (Witty et coll., 1942) et facilitent l’apprentissage d’une autre langue (Norton et Vanderheyden, 2004; Williams, N., 1995). Les comics permettent même aux professeurs de développer des capacités d’enseignement multimodal (Bitz, 2004). Ces capacités d’enseignement multimodal permettent dans un second temps de développer les compétences de littéracie des élèves (Schwartz et Rubinstein‐Ávila, 2006).
S’éloignant de la réception des comics, d’autres chercheurs se sont intéressés aux contenus des comics. À la suite d’Inness (Inness, 1999), McAllister montre que les comics reflètent la société et sont porteurs d’idéologies (McAllister et coll., 2001). Les comics représentent ainsi le monde et son fonctionnement (Heinecken, 2003). Cette dimension de représentation faciliterait aux lecteurs la compréhension de notions complexes comme le sexe, la sexualité et le genre à travers la manière dont ils sont incarnés dans les comics (Beerman, 2012). Par la suite, les auteurs porteront leur intérêt sur le contenu des comics à travers la fréquence de représentation d’un évènement ou l’analyse d’un portrait de personnage précis (Duncan et coll., 2015). Par exemple, Brown (2011) s’intéresse à la représentation des superhéroïnes dans les comics. Les personnages présentés dans les médias jouent aussi un rôle dans la diffusion de normes de genre, puisqu’ils proposent des modèles (Buikema et coll., 2017; Maigret et Libbrecht, 1999).
2.4Normes de genre dans les comics
2.4.1 Diffusion des normes de genre
Ces modèles vont diffuser les normes de genre par deux voies : d’une part, les scripts de genre et sexuels, d’autre part, les standards sociaux de genre. Les scripts seraient des scénarios définissant le genre et ce qui est sexuel, alors que les standards sociaux constituent des exemples auxquels se comparer. Les scripts de genre et sexuels sont des représentations d’éléments généralisables et ordonnés temporellement qui organisent les connaissances des enfants (Levy et Fivush, 1993). Ces scripts sont d’abord des éléments centraux pour comprendre comment les enfants apprennent, comprennent et considèrent le genre. Ensuite, ces scripts sont véhiculés par les médias dont la consommation par les jeunes est en augmentation constante (Kirsch et Murnen, 2015). Cette diffusion de scripts enfin, s’applique à l’apprentissage du genre par la prescription de normes. Les médias diffuseraient donc des scénarios véhiculant des normes sociales de comportements. Les comics en tant que média présentent eux aussi des scripts de genre. Il est donc intéressant de se pencher sur ce que les comics diffusent comme contenus concernant les genres et plus particulièrement le genre féminin.
Les normes de genre vont aussi être diffusées par un autre moyen, les standards sociaux de genre. Bussey et Bandura (1999) considèrent justement les médias comme des supports à la construction de standards sociaux des rôles de genres, des normes de représentations. Ces standards de genre peuvent différer selon l’émetteur, mais participent tous à construire les standards de genre d’une société. Cette idée de support à la construction de standards sociaux de genre s’applique aux comics. On peut se demander quels sont les standards féminins présentés dans les comics. Ces standards féminins ne sont pas statiques et ont évolué avec le temps. Cette évolution s’avère parfois positive, parfois négative selon l’époque. L’évolution des standards féminins est positive si les personnages prennent une part importante dans les histoires des comics, occupent des positions stratégiques nécessaires, présentent de la liberté d’action, etc. L’évolution négative des standards féminins voit plutôt une réduction de l’éventail de rôles disponibles, une limitation à une fonction d’objet, servent uniquement de faire valoir… L’évolution de ces standards au sein des Comics Marvel semble placer l’éditeur du côté des précurseurs concernant la représentation des femmes de manière non traditionnelle (Darowski, 2014).
Gabilliet (2005) décrit Marvel comme progressiste, quand il s’agit de représentations de thèmes sociaux. Ainsi la maison d’édition introduit des thèmes habituellement absents des comics, comme la drogue, l’alcoolisme, les inégalités sociales, la représentation de héros internationaux dans ses histoires. Ces thématiques affrontent pour cela la censure portée par le Comics code Authority. La maison d’édition introduit aussi des idéologies comme le féminisme à travers les personnages Ms. Marvel ou Mystique (Murray, 2011). Selon Darowski (2014) Marvel, qui publie les séries à l’origine des succès au box-office : Avengers, Gardians of the Galaxy, X-men…, représenterait les femmes comme des personnages forts, indépendants, et ce dès les années 1960. Par contre, pour Young (1991, 1993) la maison d’édition est qualifiable de sexiste. L’auteure travaille sur les cartes à collectionner publiées par Marvel et les informations qu’elles présentent (statistiques comparatives de puissance, d’agilité, de force). Young observe qu’il y a moins de femmes dans les comics que d’hommes, et que leurs rôles seraient moins importants. On demande beaucoup moins à des personnages féminins de sauver l’univers. En même temps, l’auteur ne s’intéresse qu’aux cartes à collectionner seulement et pas aux comics. Se baser sur les cartes donne un contexte statique à cette recherche, limité au seul texte contenu dans ces cartes et considère le cliché d’une seule époque. On ne peut donc pas appliquer cette critique aux comics en soi. Les auteurs n’arrivent pas à un consensus et la position de l’éditeur Marvel, entre sexiste et précurseur non traditionnel, reste à déterminer. Les comics en tant que médias représentent des objets de recherche légitimes et des outils de diffusion.
Sans chercher à positionner les éditeurs, on peut se demander comment les normes de genre s’expriment. Les normes de genre s’expriment de deux manières dans les comics : les stéréotypes de genre (Behm-Morawitz et Pennell, 2013) et le double standard (Madrid, 2016). Les stéréotypes de genre seraient l’équivalent des standards sociaux de genre. Behm-Morawitz et Pennell (2013) considèrent les stéréotypes de genre comme des éléments de construction des genres dans les comics. Pour les deux auteurs, les comics présentent des personnages, les super héros, auxquels les lecteurs peuvent s’identifier. Quand ces personnages correspondent à notre genre, ils participent à la construction de nos identités de genre (la vie vécue en tant qu’homme ou femme), de nos attitudes et de nos croyances par rapport aux genres. Or, les comics sont dominés par des auteurs majoritairement masculins. Qui plus est, la cible première est le lectorat masculin (Behm-Morawitz et Pennell, 2013). C’est donc un regard et une interprétation masculine qui prime… un temps. Dès les années 1970, les personnages féminins des comics montrent à la fois conformité et résistance aux normes de genre (Behm-Morawitz et Pennell, 2013). Cette modification du jugement implique la seconde expression des normes de genre : le double standard. Le double standard est le phénomène qui fait que l’on traite différemment un comportement, notamment sexuel, une attitude ou une personne selon qu’elle est du genre féminin ou masculin
Pour mieux se représenter l’évolution des personnages féminins de comics, Cocca (2016) propose une lecture féministe tout en reprenant les mêmes distinctions temporelles que celles vues précédemment. L’auteure modifie cependant l’arrivée de l’âge moderne qu’elle pose en 2005. Cocca référence ainsi une typologie de l’évolution des personnages féminins dans les Comics. L’auteure considère ainsi l’âge d’or (1930-1949) comme porteur de personnages féminins successivement forts et indépendants avant la Seconde Guerre mondiale, puis avec des valeurs traditionnelles dès l’après-guerre. Ensuite, Cocca perçoit l’âge d’argent (1950-1969) comme présentant d’abord des personnages féminins plutôt faibles en termes de pouvoir ou de rôles, puis durant la deuxième partie des années 1960, des personnages féminins plus importants, plus actifs. L’auteur y lit une influence de la deuxième vague féministe et de la publication en 1963 de The Feminine Mystique de Betty Friedan (2010). Toujours pour Cocca, l’âge de bronze (1970-1985) serait accompagné d’une croissance du point de vue du nombre de personnages féminins avec notamment l’apparition de la première super héroïne noire, la mutante Storm dans la série X-men. Les personnages féminins deviendraient aussi plus compétents. Cette croissance serait marquée par une exagération des formes féminines et un début de diversité. L’âge moderne (1985-2005) ferait un retour vers des représentations plus binaires des deux genres. Cette période présente des hommes hyper musclés et des femmes hyper sexualisées. Enfin, le nouvel âge d’or (2005 — années 2010) voit à nouveau croitre le nombre de personnages féminins. Ces personnages plus complexes et moins sexualisés s’imposent en termes de diversités ethniques et sexuelles. C’est aussi une période de croissance de séries régulières portées par un personnage féminin (Cocca, 2016). Cette dernière évolution est par ailleurs très influencée par le feed-back des lecteurs, qui profitent de la prise de parole et de l’écoute permise par les nouvelles technologies et les réseaux sociaux (Jenkins, 2018; Peeples et coll., 2018).
2.4.2 La différenciation des genres dans les comics
De manière plus précise maintenant, comment le genre est-il différencié dans les comics ? Le terme de normes de genre sera ici employé pour intégrer le double standard et les stéréotypes de genre qui en sont l’expression. Les normes de genre influencent le nombre de personnages féminins : il y a toujours plus de personnages masculins que de personnages féminins. Cocca (2016) annonce au plus 12 % de personnages féminins présents dans les comics. Pour la série X-men, Darowski (2014) recense le nombre de personnages et leurs fréquences d’apparition. Bien que des résultats soient absents de la recherche, la période 1983-1991 serait celle qui présente le plus grand nombre de personnages féminins et où leurs apparitions sont les plus fréquentes. Les personnages féminins restent globalement sous représentés.
Ensuite, les normes de genre agissent sur les dessins qui matérialisent la représentation des femmes. Les corps représentés évoluent donc avec les attentes de la société en termes d’esthétiques.(Brown, 2011; Madrid, 2016; Robinson, 2004). Par exemple, une importante transformation amincit Wonder Woman entre les années 1940 et 1950 pour lui donner une silhouette plus athlétique (Robinson, 2004). Les représentations féminines paraissent, au début, essentialistes. L’essentialisme est l’idée qu’on peut trouver une base fixe et commune, une essence à un groupe de personnes (Barker, 2016). Les représentations de personnages féminins décrivent des qualités physiques qui seraient purement féminines : belles proportions, corps sans muscles, beau visage. De manière générale dans les comics, une femme se doit d’approcher une perfection esthétique, être belle, d’autant plus si c’est une super héroïne (Robinson, 2004). Pour Heinecken (2003) aussi, les normes de genre viseraient la beauté pour les superhéroïnes de comics au risque d’effacer toutes les autres qualités liées à l’héroïsme. Le concept de beauté est assujetti double standard (Madrid, 2016). Si les personnages féminins doivent être beaux et jeunes pour être attirants, cela ne s’applique pas pour les personnages masculins qui doivent être puissants et virils. Selon Brown (1999), les normes traditionnelles dépeignent les deux genres de façon antagoniste. Le masculin exclut donc le féminin et inversement : l’attractivité idéale des personnages féminins passe par l’absence d’éléments masculins. L’exigence de beauté prend aussi une autre forme. Les personnages féminins qui changent de camps pour combattre aux côtés des héros voient leur apparence embellir comme un effet secondaire de l’héroïsme (Madrid, 2016). Ainsi, les traits et les expressions des visages des personnages féminins nouvellement héroïques sont raffinés, harmonisés et adoucis. Le fait d’être femme est une contrainte pour les personnages féminins à être attirantes aux yeux des hommes qu’ils soient les dessinateurs, les lecteurs ou les personnages masculins de comics. L’apparence physique l’emporte donc sur l’action et le corps se doit lui aussi d’être parfait. La perfection des personnages féminins se définit entre autres par les proportions qui évoluent en s’adaptant aux goûts du jour (Robinson, 2004). Comme nous l’avons dit plus haut, Wonder Woman s’amincit dans les années 1940. L’héroïne conserve cependant des formes féminines. Sa puissance ne se traduit pas par une musculature extrême et sur représentée contrairement aux personnages masculins. La puissance de Wonder Woman reste donc invisible, et l’origine de ses pouvoirs liée à une ascendance divine, conserve à l’héroïne sa beauté idéale. L’invisibilisation du pouvoir et de ses prémisses explique la représentation majoritaire d’un corps athlétique chez les superhéroïnes (Robinson, 2004). L’athlète aurait un corps plus harmonieux et des muscles plus fins que volumineux, donc moins visibles. On s’attend donc à ce que le corps des superhéroïnes ne soit pas surmusculeux, contrairement à celui des héros. Une héroïne trop musclée serait masculinisée, vue comme transgressant son genre et serait lue comme agressive (Brown, 1999). L’héroïsme des femmes ne passe pas par les mêmes codes physiques que ceux des héros masculins. Si ce n’est pas par des muscles, de quelle manière représente-t-on la force et l’héroïsme des personnages féminins ?
En dehors de cette invisibilisation musculaire et de cette focalisation sur l’idéal du corps, les manières de représenter les femmes prennent d’autres formes dans les comics. Trois styles de représentations de personnages féminins viennent interroger les normes traditionnelles : les Good Girls, les Bad Girls et les Tough girls. Ces représentations décrivent des personnages plus forts (mentalement et physiquement parlant), plus sexualisés et plus puissants à travers des corps accentuant les formes féminines. Les Good Girls (Cocca, 2016) sont des superhéroïnes des années 1940 provoquant l’émoi, tant par leurs exploits héroïques que par leur apparence (Reynolds, 1994). Toujours selon Reynolds, ces héroïnes sont sexualisées par l’emprunt de signes ou de codes relevant de la pornographie, comme les fouets, les talons aiguilles, le bondage. Le sous-texte pornographique positionne les Good Girls comme objets de fantasmes. Il participe aussi à brouiller les limites entre héroïnes et vilaines (Reynolds, 1994, p. 34), leur conférant sexualisation, ambiguïté et complexité. Or, cette complexité et cette sexualisation perdurent ensuite dans la manière de représenter les personnages féminins. Les super vilaines semblent par contre, pouvoir porter les qualités interdites aux Good girls. Certaines vilaines vont ainsi porter des muscles saillants, surdimensionnés, comme ceux des représentations masculines, les rapprochant plus de culturistes que d’athlètes. Cette masculinisation leur ajoute cependant une composante de sexualité menaçante, liée à un désir sexuel explicite et interprété comme agressif (Madrid, 2016). Les vilaines ont plus de sexualité dans les comics (Madrid, 2016). Les vilaines séduisent plus les personnages masculins, leur font des avances, ridiculisent les héroïnes pour leur innocence sexuelle… Il n’empêche que le désir sexuel des personnages féminins reste peu représenté, car menaçant (Madrid, 2016, p. 150). Cette considération du désir sexuel féminin comme trop masculin, menaçant ou émasculant participe du double standard qui juge les comportements comme impropres à un genre. La distinction héroïne-vilaine par rapport à la sexualité s’estompe par la suite. La lecture sous-jacente de la sexualité, elle, reste une constante dans le temps et se renforce dans les années 1990. D’autres modèles de représentations de personnages féminins émergent durant les années 1990 : les figures dominantes des Tough Girls (Inness, 1999) et Bad Girls (Cocca, 2016). Si la Good Girl appartenant aux années 1940 était une héroïne sans ambiguïté et sexualisée, les Tough Girls et Bad Girls sont encore plus sexualisées et complexes. Le terme Tough Girls correspond à des personnages féminins dont la résistance et la puissance sont plus mentales que physiques. Nous discuterons des tough girls plus loin dans la section concernant les rôles féminins. Les Bad Girls sont des « Good Girls gone bad » (Madrid, 2016), c’est-à-dire une évolution des Good Girls, qui changent leurs comportements et leurs apparences. D’une part, les héroïnes perdent leur innocence dans des évènements traumatisants (agressions, dépossession de pouvoir…). Ces héroïnes deviennent donc plus froides, plus dures et plus androgynes. La représentation des Bad Girls utilise des codes éloignés de ceux traditionnels, impliquant des styles cuir et punk. D’autre part, les corps des femmes représentées se rapprochent de ceux des top-modèles à succès. Le terme Bad Girls correspond à la dimension physique de ces personnages féminins aux formes pulpeuses et aux jambes interminables, portant des costumes moulants et suggestifs. Madrid (2016) voit les Bad Girls comme le croisement entre des stripteaseuses et des tueuses. L’une des caractéristiques liées au succès des Bad Girls est leurs représentations dans des poses impossibles afin d’appuyer la puissance et la maîtrise des personnages féminins de leurs pouvoirs ou de leurs armes. Ces poses impossibles ont pour objectif premier de représenter tous les attributs physiques des Bad Girls en une seule image (Darowski, 2014). La pose brokeback vient appuyer la sexualisation des personnages féminins.
©Marvel, 1991, X-men #1p.12
Figure 1 : Psylocke représentée en brokeback pose par Jim Lee sur un scénario de Chris Claremont dans X-men #1 publié en octobre 1991.
Le succès du phénomène de la pose brokeback illustre, par sa fréquence, l’objectification (la réduction à un objet sexuel) des personnages féminins. Le phénomène de brokeback pose est aussi renforcé par son utilisation en couverture du comics (Madrid, 2016). Les personnages, dotés d’armes diverses comme des fusils surdimensionnés ou des sabres, sont représentés dans des poses mettant en valeur leurs formes et annonçant un contenu plus adulte. Par ce procédé d’utilisation de couvertures sexy, l’industrie des comics va lier les notions de violence et de sexualité. Bukatman (1994) évoque la redondance de la représentation de ces personnages féminins. Ces représentations de femmes sont des figures parfaites correspondant aux fantasmes des lecteurs masculins (Bukatman, 1994). La fétichisation et la sexualisation sont donc des composantes devenues normes de représentation des personnages féminins. Cependant, cette norme représentant les femmes comme sexy n’est pas exempte d’objectification. Le nombre limité de représentations de personnages féminins montre ces personnages comme des objets sexuels. Les seuls personnages féminins présents étant objectifiés, l’effet de l’objectification est renforcé (Cocca, 2016). La sous représentation des personnages féminins couplée à l’objectification systématique va véhiculer le message que les femmes sont objectifiables. Cette objectification laisse donc à penser que toute femme est un objet sexuel plus qu’un sujet. Nous nuancerons cependant cette objectification qui parait permanente, en évoquant le soin apporté dans la série X-men pour proposer des corps plus réalistes que les autres séries jusque dans les années 2000 (Cocca, 2016).
De même, les normes de genre influencent les dialogues qui expriment la manière dont les auteurs considèrent les femmes, la manière de s’adresser à elles
Les effets des normes sur le genre sont aussi présentés de manière narrative. Dans les études, ces effets sont traités sous l’angle des rôles attribués aux personnages féminins. Traditionnellement, l’action héroïque serait réservée au genre masculin (2009) et interdite au genre féminin (Iness, 1999). Les attributs de l’héroïsme portés par une femme seraient hors-normes et ce seraient d’autres composantes qui devraient compenser l’usage de la force physique (Polster, 1992, p. 31). L’héroïsme par la force reste hors de portée pour les personnages féminins. En conséquence, ces représentations déterminent aussi la passivité des rôles des personnages féminins (Inness, 1999, p. 18). La fragilité supposée des personnages féminins renforce ces a priori liés aux genres. Les médias cantonnent les personnages féminins à être sauvées par des hommes (Stabile, 2009). Seuls porteurs envisageables de la protection, les personnages masculins sont aussi des leaders. En conséquence, les personnages féminins seraient incapables de s’aider eux-mêmes (Stabile, 2009, p. 90). En d’autres termes, le genre impose des positionnements différents en termes d’action, de pouvoirs et de capacité de protection. Ainsi les personnages féminins des années 1960-1975, appartenant à un groupe doivent réprimer leur féminité qui perturbe leurs capacités décisionnelles ou leur rationalité (Madrid, 2016). Servant à la fois de faire valoir, de distraction et de rétribution, porteurs de sexualité sous-jacente (le sous-texte pornographique), et dépendants des personnages masculins, les personnages féminins ont alors peu d’espace d’action. Jusqu’à la fin des années 1960, leurs carrières professionnelles restent conventionnelles et genrées (Madrid, 2016). Les personnages féminins des comics occupent des rôles de support pour les personnages masculins comme infirmières ou secrétaires. Par ailleurs, les personnages féminins sont aussi les seuls à être représentés aux prises avec des tâches ménagères quand ils sont en civils (Darowski, 2014). Bien que les médias aient longtemps permis un maintien de cette position passive, ils opèrent ou reflètent une dé-traditionalisation à partir des années 1990 (Inness, 1999). Les médias sortent du clivage du mâle héros sauveur de la victime féminine et redéfinissent les composantes féminines. Cette dé-traditionalisation s’accompagne d’une prolifération de personnages féminins, de représentations nouvelles de ces personnages et d’une validation sociale (Inness, 1999, p. 7).
Les médias ont donc un rôle particulier dans l’évolution de la représentation des personnages. Après avoir longtemps véhiculé ces modèles de genre traditionnels, les médias participent à sortir des stéréotypes de genres et à redéfinir ce qui constitue chacun des genres. Cette redéfinition, incarnée par les Tough girls met en scène des personnages féminins forts et endurants, dépassant leurs limites et leur genre (les normes de genre), par des aptitudes de maîtrise de soi et de son corps (Inness, 1999). Dotées de capacités, de pouvoirs, de maîtrise, de résistance, les Tough girls sont libérées des normes de genre contraignantes. Le côté masculin de ces superhéroïnes, fortes et puissantes, pousse les frontières des représentations de genre normées (Behm-Morawitz et Pennell, 2013). Les superhéroïnes de comics voient leur potentiel exploser, leur panel de rôles et de portraits se diversifier (Madrid, 2016). Durant les années 1990, en même temps que les corps se transforment, les personnages deviennent aussi plus forts, plus autonomes, plus présents et participent plus à l’action. Si les superhéroïnes quittent des positions traditionnelles accessoires, elles vont même jusqu’à devenir des personnages plus centraux, décisionnaires. La position héroïque des personnages féminins est alors légitimée au rang d’idéal héroïque. Les normes de genre restent présentes sous forme d’idéal esthétique, mais semblent atténuées au bénéfice de l’autonomie et de la puissance. Cette évolution des personnages féminins s’exprime aussi dans les problématiques auxquelles elles sont confrontées. La romance et le relationnel des années 1963-1990 laissent place dans les années suivantes à la recherche de maîtrise de soi, de maîtrise de son pouvoir et d’autonomie (Heinecken, 2003). Cette maîtrise se différencie de celle des personnages masculins. C’est une maîtrise de soi, non pas une maîtrise des autres. Les normes de genre influencent les comics dans une dernière dimension, celle du pouvoir. Cette fois-ci encore, on peut observer l’action du double standard. La distribution du pouvoir est inégale (Madrid, 2016). La puissance même imagée est interdite aux personnages féminins. Trop de puissance empêche l’attirance pour un personnage féminin. Les pouvoirs des personnages féminins sont plus faibles pour démontrer la nécessité de protection ou de conseils de la part d’un personnage masculin. Les personnages masculins contrôlent l’utilisation des pouvoirs des personnages féminins. Si les personnages masculins ne jouent pas ce rôle, les personnages féminins sont dépassés par leurs pouvoirs, incontrôlés ou incontrôlables (Madrid, 2016, p. 171). Les comics véhiculent donc le message que les personnages féminins présentent toujours le risque de moins contrôler leurs pouvoirs contrairement aux personnages masculins.
2.5Les mutantes et la question des (super) pouvoirs
Les précédentes sections concernaient les évolutions des représentations genrées des personnages féminins en général et des superhéroïnes en particulier. Parmi les personnages féminins qui reflètent bien les changements, les mutantes semblent particulièrement pertinentes pour observer l’évolution de ces influences du genre sur la production de comics. Les mutants dérivent d’une part des légendes, des contes de fées et de la mythologie (Eco, 1993; Reynolds, 1994). D’autre part, les mutants sont le fruit des angoisses liées à la modernité et aux progrès de la science notamment dans le nucléaire et les énergies atomiques (Colson, 2005). Cette création liée aux tests nucléaires effectués durant la guerre froide positionne les mutants comme des héritiers de l’évolution. Cette dimension évolutive prend différents sens. D’abord, telle une nouvelle génération d’adolescents plus adaptée aux changements scientifiques et sociaux, les mutants constituent des représentations de l’accession aux compétences sexuelles (Kripal, 2011). Les mutants de Marvel sont créés en 1963 dans la série X-men par Stan Lee, scénariste, et Jack Kirby, dessinateur. Les mutants en tant que porteurs d’une différence génétique, développent leur super-pouvoir au moment de la puberté. Selon Kripal (2011), cette simultanéité d’acquisition entre pouvoirs et compétences sexuelles permet un rapprochement. Les super-pouvoirs seraient des énergies mystérieuses liées à la sexualité voire des expressions sexuelles (Kripal, 2011). Autrement dit, c’est l’énergie érotique qui se manifesterait sous la forme sublimée du pouvoir (Bukatman, 1994). La représentation du super-pouvoir serait donc une expression sexuelle. Cette dimension mêlant pouvoir et sexualité, déjà évoquée pour la représentation graphique, nous semble un argument de choix pour s’intéresser aux mutants en particulier. Ce pouvoir quand il est porté par un mutant prendrait une dimension sexuelle supplémentaire puisqu’il se développe spontanément au moment de la puberté comme la sexualité. On peut ainsi interpréter cette dimension de la manière suivante : l’expression des super-pouvoirs serait une forme d’expression de la sexualité du mutant (Bukatman, 1994). Cela concerne aussi bien le moment de la découverte du pouvoir ou sa survenue, l’entrainement des capacités seul ou à plusieurs et la maîtrise des super-pouvoirs. Ces trois moments pourraient se rapprocher de la découverte de la sexualité, de la masturbation et de l’actualisation sexuelle. L’actualisation sexuelle serait la capacité de développement du potentiel sexuel ou de la capacité sexuelle. L’actualisation sexuelle serait reliée à un sentiment de congruence entre la représentation de soi et le comportement sexuel (Boucher, 2014; Leclerc et coll., 2003).
Ensuite, les mutants constituent des métaphores de l’altérité puis de différentes minorités pour dénoncer des oppressions (Darowski, 2014). Pour Harras, l’un des scénaristes de la série X-men, la différence des mutants est positive et normale (DeFalco, 2006). Toujours selon Harras, la série parlerait de l’isolement et de la solitude applicable à tout adolescent, voire adulte, et au sentiment de se sentir différent. Lobdell (DeFalco, 2006), un autre scénariste de la série, parle du sentiment d’être un « outsider ». Millar, lui aussi scénariste des X-men (DeFalco, 2006) voit même la série comme un reflet direct des combats des minorités. Ainsi la simultanéité de la création des mutants et des évolutions sociales fait de la série X-men un succès. Les mutants dans leur quête d’acceptation deviennent un symbole de combats sociaux. Parmi ceux qui ont travaillé sur la métaphore des oppressions, Darowski (2014) montre le caractère précurseur procuré à la série X-men, par Stan Lee, l’un des créateurs. Les auteurs suivants tenteront de faire perdurer ce trait par la suite. Ce caractère précurseur recouvre une écriture plus adulte, une profondeur dans la personnalité des personnages, une complexité dans les rapports humains, à un moment où la simplification manichéenne était de mode. Les mutants sont porteurs de pouvoirs qui les différencient des autres humains et créent la panique ou le rejet. Darowski (2014) se penche donc sur la diversité ethnique et sexuelle des mutants ainsi que leurs fréquences d’apparition et conclut à une domination des personnages masculins blancs. À travers l’étude de la série X-men, Darowski (2014) parcourt aussi d’autres dimensions oppressives. L’auteur montre que les créateurs représentent les mutants aux prises avec des thématiques liées à la couleur de peau et la religion. Les mutants affrontent aussi l’objectification sexuelle, la manipulation, la différence des classes, l’orientation sexuelle, le fait d’être porteur d’un handicap. Parfois, ces thématiques font partie de la composition du personnage, parfois ces thématiques sont appliquées au statut de mutant.
Darowski (2014) se concentre sur le genre et effectue une analyse quantitative, s’intéressant à la façon dont sont traités les personnages féminins par rapport à leur contrepartie masculine. L’auteur propose un découpage de la série en 5 époques. La période 1963-1975 correspond à la création de la série X-men[1] et à sa première parution. La période 1975-1983 correspond à une nouvelle incarnation du titre, avec introduction de nouveaux personnages. La période 1983-1991 correspond à une expansion de l’univers des X-men par l’ajout de deux séries supplémentaires de mutants[2]. La période 1991-2001 correspond à une refonte des équipes, à l’ajout d’une série X-men additionelle[3] et au départ du scénariste installé depuis 1975. La période 2001-2008 correspond à l’influence de la sortie du film X-men et à un retour à un chiffre restreint et limité de mutants. Darowski (2014) montre ainsi que dans les années 1960, bien que considérées comme des demoiselles en détresse, les personnages féminins s’avèrent indépendants. Puis ces personnages féminins deviennent de plus en plus nombreux de plus en plus forts et influents dès 1975 et durant les années suivantes. La courbe s’inverse ensuite dans les années 1990-2000. Les analyses opérées par Darowski (2014) ont permis de faire ressortir des données intéressantes, mais partielles. En effet, des chiffres manquent. L’auteur ne présente pas certains résultats de manière chiffrée, mais uniquement sous forme de courbe. Dans un second temps, Darowski (2014) inclut dans ses résultats des personnages mutants, humains, extra-terrestres, mutés (personnages ayant subi une modification dont l’origine n’est pas spontanée au contraire des mutants). Bien qu’il porte son attention sur les mutants comme métaphores, ses résultats incluent donc aussi des personnages non mutants faussant ses résultats. Sa problématique n’est pas explicite et sa méthodologie manque de précision. Il exclut implicitement des épisodes. Il inclut un numéro spécial, mais pas d’autres. Les périodes établies par Darowski (2014) se basent en partie sur le découpage historique des comics en âges (âge d’or, âge d’argent…), mais respectent surtout l’histoire de la série. Ce découpage a pour défaut de ne pas constituer des périodes égales en nombre de comics. Enfin, sans parler explicitement d’agentivité, l’auteur évoque le contrôle du pouvoir, l’autonomie et l’influence sociale, mais ne les développe pas. L’analyse de Darowski (2014), très complète, laisse cependant de côté certaines composantes annexes des mutants.
Les mutants sont aussi porteurs d’autres dimensions notamment politiques (Fawaz, 2016). La représentation des oppressions sert aussi à critiquer les idéologies politiques et à dénoncer les systèmes de classes. Fawaz (2016) montre les rapprochements possibles des histoires avec la guerre froide, le féminisme et les courants queers. La dimension de pouvoir est considérée chez deux mutantes comme une possible extension de leur agentivité personnelle, mais surtout comme une tentative volontaire d’agir sur le monde pour le rendre meilleur. Bien que citée, l’agentivité n’est pas un élément développé par Fawaz (2016) qui s’intéresse plus à la représentation sous-jacente de communautés politiques à travers les mutants. Il évoque cependant la représentation des pouvoirs des mutantes comme liées à des démonstrations d’empowerment féminin durant les années 1975-1983, c’est-à-dire la reconnaissance des compétences et capacités des femmes et l’endossement de cette puissance. De même, l’évolution de la maîtrise de leurs pouvoirs par les mutantes serait un accès à un rapport à l’autre modifié. En effet, les pouvoirs télépathiques et empathiques, généralement portés par des personnages féminins permettent de comprendre l’autre, mais aussi de se faire comprendre ce qui impacte le monde, donc l’environnement. Ce rapport à l’autre serait différent de ceux plus classiques d’interaction, d’affrontement, d’alliance ou d’utilisation. Il serait raffiné parce que plus intime et plus profond. Parmi les chercheurs qui se sont centrés sur les mutants, Zingsheim (2011) apporte une dimension plus sociologique à travers l’étude de l’adaptation cinématographique des X-men. Zingsheim (2011) observe d’abord une américanisation de personnages issus de diverses cultures sous forme de compressions des histoires et de trajectoires des personnages. Ensuite, les mutants semblent suivre des trajectoires genrées et racialisées. Les personnages masculins blancs sont représentés comme plus importants ou plus fréquents. Les super-vilains sont issus d’une plus grande diversité ethnique et sont majoritairement féminins en nombre. Les personnages féminins servent à montrer la dépendance d’une supervision masculine ou l’incapacité à affronter des ennemis masculins. Cependant, d’une part, cet auteur s’appuie uniquement sur la version filmée et non les comics et d’autre part, il ne poursuit pas son raisonnement jusqu’au bout : si les personnages de mutants suivent des trajectoires genrées et racialisées, leurs pouvoirs devraient faire de même. Selon que le personnage est masculin ou féminin, un même pouvoir pourrait être utilisé ou décliné différemment. Or, cette dimension pourtant centrale aux mutants est absente de l’article de Zingsheim (2011).
Selon Stabile (2009), qui s’intéresse au sexisme dans la série télévisée Heroes, cette différence de traitement du pouvoir selon le genre est typique chez les superhéros. Ainsi le fait de voler est réservé aux personnages masculins dans la série et tous les super-pouvoirs des personnages féminins sont restreints soit par une dimension psychologique, un non-contrôle du pouvoir ou encore une incapacité à se défendre (Stabile, 2009). De la même manière, des personnages très proches comme Mary Marvel et Captain Marvel[4] de la maison d’édition DC, frère et sœur, sont pourvus différemment dans leurs pouvoirs (Madrid, 2016). Les auteurs attribuent à l’homme la force, la vitesse, la sagesse, la résistance et le pouvoir. Les mêmes auteurs attribuent aux femmes la force, la sagesse, la vitesse, la grâce et la beauté. La répartition des pouvoirs étant inégale, il reste maintenant à s’intéresser à l’attribution de la capacité d’agir conférée aux mutantes. La notion d’agentivité dans les comics sera davantage exploitée dans les études de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018).
2.6L’agentivité dans les comics
Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) ont construit un modèle d’analyse de l’agentivité de personnages féminins de comics. Nous ne référençons ici que les résultats. On retrouvera l’explication détaillée des dimensions et de l’appareillage théorique dans le chapitre suivant. Les deux auteures définissent l’agentivité comme le contrôle de son action, de soi et de ses capacités, verbalement et corporellement, de manière autonome (Clark, 2016, p. 6). Clark et Jacobs Henderson s’approprient les trois dimensions d’agentivité construites par Weibe : l’intentionnalité, la rationalité et le pouvoir. Les auteures opérationnalisent ces trois dimensions en trois marqueurs respectifs : la suggestion d’idées, l’action indépendante et les super-pouvoirs. De ces catégories et de leurs analyses, Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) ont conçu un outil : the Holistic Agency Spectrum Scale qui se compose de trois variables notées de 0 à 10, correspondant aux trois marqueurs. L’échelle est donc constituée par l’agentivité individuelle (individual ou independent agency), l’agentivité sociale (social agency), l’agentivité d’autorité (authoritative agency). Chacune de ces variables correspond respectivement aux marqueurs. L’agentivité individuelle correspond à l’action indépendante; l’agentivité sociale correspond à la suggestion d’idée; l’agentivité de pouvoir correspond aux super pouvoirs. Les deux auteures ont porté leur attention sur des personnages féminins récents, jeunes et avec moins de passé en termes de publication. Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) utilisent leur échelle sur trois séries, notamment une, Runaways dont un des personnages est une mutante.
Les résultats montrent que les personnages féminins présentent des résultats différents en fonction de leurs rôles, de leurs statuts sociaux, de leurs ressources, leurs pouvoirs, et de leurs contextes. Ainsi les personnages manquent parfois d’intentionnalité quand ils ne contrôlent pas leurs pouvoirs ou les utilisent sans y penser. Les personnages manquent aussi d’agentivité quand ils n’ont pas un total contrôle de soi ou des autres, sont peu écoutés ou consultés, traversent et vivent dans des structures qui les contraignent ou les accompagnent dans leurs choix. Cependant, des comics récents comme Ms. Marvel ou Gotham Academy, toutes les deux parues en 2014, représentent des superhéroïnes jeunes dotées de scores d’agentivité qui évoluent positivement au cours de leurs séries. Leurs agentivités globales respectives (la somme des trois agentivités sociale, individuelle et d’autorité) sont équivalentes. Mais sur un point de vue individuel, leurs trois formes d’agentivité diffèrent entre elles. Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) montrent ainsi qu’à scores égaux de capacité d’agir, on peut montrer plus d’agentivité que quelqu’un d’autre selon la situation ou la qualité d’agentivité requise (Clark, 2016, p. 41). Cette agentivité diffère entre individus et diffère aussi individuellement dans le temps. Cette évolution dans le temps rend l’analyse des comics, pouvant s’étaler sur plusieurs décennies, très pertinente. En effet, l’évolution des comics étant très liée aux changements sociaux et historiques, il s’agit de faire une étude longitudinale qui puisse rendre compte de ces mouvements d’influences.
Dans les résultats, les scores attribués sont bien argumentés et obtenus par des accords entre juges. Des exemples sont posés pour situer les extrémités de l’échelle. Les scores attribués, non exempts de subjectivité semblent cependant arbitraires et peu explicités. Si l’on comprend que l’échelle prend en considération un continuum entre agentif (un 10 serait un dieu tout puissant jamais contraint) et non-agentif (un 0 serait un prisonnier, dans l’impossibilité d’avoir une action par choix et réflexion), à quoi correspondent les scores ? Qu’est-ce qui vaut un 3 plutôt qu’un 2 ou un 4 en suggestion d’idées ? Malgré les limites énoncées, l’échelle crée par Clark et Jacobs Henderson reste un très bon outil pour évaluer la représentation des mutantes et leur dimension de pouvoir à travers l’agentivité. Cette échelle semble actuellement constituer la seule grille d’analyse disponible dans la littérature scientifique pour ce genre de travail et possède un potentiel d’adaptation important. Cet outil s’avère d’autant plus pertinent qu’il permet d’évaluer l’évolution dans le temps des mutantes dans la série X-men, même sur une longue période comme celles des publications des Comics Marvel.
Dans cette section, nous avons défini les comics, considéré la représentation des femmes dans les comics, conceptualisé les mutantes et résumé les recherches faites sur leurs pouvoirs et leurs capacités d’agir. Le découpage de Darowski (2014) et sa lecture métaphorique ressortent comme pertinents pour notre sujet dans leurs intérêts aux présences des personnages féminins dans le temps et à leurs représentations en termes de rôles, d’autonomie et de pouvoir. La méthodologie de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) ressort comme pertinente dans son opérationnalisation de l’agentivité. Il s’agit maintenant de délimiter notre cadre conceptuel.
3CHAPITRE III
CADRE CONCEPTUEL
La présente étude s’intéresse à la manière dont le genre s’exprime dans les pages des comics. Ce genre influence les représentations des personnages féminins, en nombres, en rôles et en capacité d’agir, ainsi qu’en termes de sexualité et de sexualisation. Dans la présente section, nous proposons donc de nous pencher sur les trois notions de genre, d’agentivité et d’agentivité sexuelle.
3.1Le genre
On positionne prioritairement le genre autour de la différence sexuelle (De Lauretis, 2007), mais le concept est plus complexe. Historiquement, la différenciation est d’abord sociale, puisqu’on considère qu’il n’y a qu’un sexe qui varie selon les conditions (Laqueur, 2013). Puis avec le développement des connaissances à l’époque des Lumières, une distinction plus biologique s’inscrit et entraine une répercussion sociale. Löwy et Rouch (2003) notent qu’entre 1940 et 1960, la médecine et la biologie introduisent le mot « genre » en lui conférant le sens d’identité profonde de l’individu puis rapidement d’expression sociale du sexe. Ce nouveau sens signe la séparation entre le sexe biologique et l’aspect social et autorise l’inadéquation entre les deux notions. Puis dans les années 1970-1980, le genre prend le sens de sexe construit par la société et la culture. Le genre se contextualise alors dans une relation de domination dénoncée par les mouvements féministes quittant les aspects strictement biologiques et sociaux pour prendre une valeur politique. En effet, pour Butler (2006), sexe et genres sont des constructions culturelles, sociales et politiques. Tout comme le corps, le genre pour Butler (2006) n’est ni fixe ni naturel. D’une part, Butler considère le corps comme un concept historiquement construit, compris par chacun à partir de références normatives, pour un temps et un lieu donné. D’autre part, pour l’auteure, le sexe n’est pas une donnée naturelle, mais un construit social. Dans cette compréhension, la division hiérarchique des humains en deux genres construit la différence sexuelle, non pas la nature. Le genre est donc un support discursif qui signifie la différence (De Lauretis, 2007). De cette signification de la différence découle la préexistence du genre par rapport au sexe. C’est ce traitement de la différence que nous souhaitons observer dans les pages des comics, en nombres de personnages masculins et féminins, en fréquences d’apparition. Le genre est aussi un élément important qui a participé à interroger et réinterpréter toute production culturelle.
La notion de genre synonyme de différence sexuelle a été centrale dans la critique de la représentation, la relecture des images et des récits culturels, le questionnement des théories de la subjectivité et de la textualité, de la lecture, de l’écriture et de la réception dans les écrits et les pratiques féministes des années soixante et soixante-dix (De Lauretis, 2007, p. 37)
Il faut donc voir le genre comme un outil qui permet de décrypter les productions discursives et graphiques. De Lauretis (2007) va plus loin en considérant que le genre s’exprime comme le produit de technologies sociales sous forme de représentations et d’autoreprésentations. Pour l’auteure, le genre est d’abord une classification basée sur une catégorie grammaticale, puis par extension une représentation de la relation sociale de l’individu comme appartenant à un groupe. Ce groupe est déterminé par une structure préexistante supposant une séparation opposant les deux sexes. Pour Butler (2006), cette structure est la matrice hétérosexuelle. La matrice hétérosexuelle est une grille d’interprétation qui naturalise corps, genres et désirs (Löwy et coll., 2003). C’est aussi un système de pouvoir qui permet à l’hétérosexualité d’être dominante et de perpétuer l’oppression des femmes (Butler, 2006). Enfin, cette matrice a pour instruments des normes régulatrices et des contraintes. Pour De Lauretis (2007), la structure qui détermine la position de tout individu, est le système sexe-genre. Ce système opère à travers toutes sortes d’outils.
Les conceptions culturelles du masculin et du féminin comme catégories complémentaires, mais mutuellement exclusives par rapport auxquelles se situent tous les êtres humains constituent un système de genre, un système symbolique ou un système de significations, qui mettent en corrélation le sexe avec des contenus culturels selon des valeurs et des hiérarchies sociales dans toutes les cultures (De Lauretis, 2007, p. 45).
Toujours d’après De Lauretis (2007), le genre a aussi pour fonction de constituer les individus. Le genre est en effet à la fois un processus de représentation et le résultat de cette représentation. S’appuyant sur le concept d’interpellation d’Althusser, l’auteure explique l’endossement et l’imprégnation des représentations par les individus.
[L’interpellation est un] processus grâce auquel une représentation sociale est acceptée et absorbée par un individu comme étant sa propre représentation (à elle, à lui), et devient donc réelle pour cet individu tout imaginaire qu’elle soit (De Lauretis, 2007, p. 62).
Si l’on applique cette définition au lectorat des comics, les lecteurs seraient donc en position d’accepter et absorber les représentations de genre véhiculées comme étant les leurs. Ils leur donneraient valeur de réalité. En conséquence, les représentations hiérarchisées et les jugements de valeur seraient aussi intégrés et endossés. Cependant, d’une part les comics restent une production de fiction et d’autre part, le lecteur n’est pas passif. Face à l’information, le lecteur/récepteur peut être en opposition, en négociation ou en accord avec les codes de l’émetteur/éditeur (Hall et coll., 1994). Ces positionnements trouvent d’ailleurs leurs expressions dans les courriers des lecteurs influençant le contenu des comics (Cocca, 2016). Les représentations hiérarchisées et les jugements de valeur véhiculés dans les comics sont les héritiers des interdits qui dominent une société. Or, ils participent à la construction des individus et de leurs sexualités.
La sexualité est construite culturellement par la classe dominante de la société. Les régulations et interdictions relatives aux comportements sexuels, qu’elles soient émises par les autorités religieuses, légales ou scientifiques, bien loin de contraindre ou de réprimer la sexualité, l’ont au contraire produite (De Lauretis, 2007, p. 62).
La régulation et les interdits de la sexualité renvoient aux valeurs et aux hiérarchies du système évoqué plus haut, le système sexe-genre qui détermine la position de tout individu. On observe bien cette notion à l’œuvre dans les comics à travers le Comic Code Autority, outil de censure et de régulation. Le genre va donc à la fois produire des représentations différemment hiérarchisées et valorisées, et en même temps les représentations vont alimenter cette structuration du genre. Ces représentations et le système sexe-genre à leurs origines perdurent dans le temps. Comment expliquer cette continuité des représentations ? Le modèle de matrice hétérosexuelle de Butler qui se maintient lui aussi dans le temps constitue peut-être une piste. Pour durer et se renforcer, le système de matrice hétérosexuelle a besoin d’être performé, c’est-à-dire représenté et répété par chacun, à la fois pour les autres et pour soi-même. La performativité est issue de la philosophie du langage de John L. Austin (1970). La performativité est issue de la sémantique, c’est l’acte de réaliser ce qui est énoncé. Pour pouvoir perdurer, l’acte performatif doit être répété. Le genre est donc performatif (Butler, 2006). De même, le genre super genré des personnages des comics (Behm-Morawitz et Pennell, 2013) est performatif. Les personnages de comics performent généralement les genres traditionnels. Seifert (1996) exprime ainsi cette idée : les comportements incarnés par les personnages fantastiques sont construits pour renforcer, naturaliser ou subvertir le système du sexe et du genre. En répétant les rôles, les comportements attendus selon les genres et les représentations de genre culturellement définis deviennent des normes. En contrepartie de ce contexte normatif imposé culturellement (contrainte sociale et contraintes sexuelles), des transgressions sont possibles. La sexualité peut donc contourner les normes, prendre de nouvelles formes ou retourner la régulation pour la rendre attrayante (par exemple, l’utilisation de pouvoirs à des fins de satisfaction du désir féminin plutôt que celui des personnages masculins ordinairement mis en avant). C’est ce que Butler (1990) appelle la subversion. La subversion joue à la fois les rôles de stratégie défensive et d’outil de revendication politique. La subversion interroge et déconstruit les normes de genre. Elle est donc liée au pouvoir d’agir (Baril, 2007).
3.2L’agentivité
Comme présenté plus haut, le genre féminin influence dans les comics la possession et l’utilisation de pouvoirs. Ces pouvoirs reflètent la part d’agentivité attribuée aux mutantes. Le concept d’agentivité est en lien avec le genre, notamment dans le double standard qui fait que l’on considère différemment des comportements selon qu’ils sont réalisés par un homme ou une femme (Lang, 2011). Qu’est-ce que l’agentivité ? Différents auteurs ont tenté de donner une définition à l’agentivité. D’abord, Giddens (2005) propose une théorie de la structuration où l’individu produit et reproduit la structure sociale. L’individu dans cette conception est un agent qui a la capacité d’apporter un changement, de faire une différence par l’action ou l’absence d’action.
Être capable d’« agir autrement » signifie de pouvoir intervenir dans l’univers ou de s’abstenir d’une telle intervention, pour influencer le cours d’un procès concret (Giddens, 2005, p. 63).
L’agentivité serait donc une capacité à agir ou non par choix. Par exemple pour les mutantes, elles font le choix d’utiliser ou non leurs pouvoirs. Ce choix a lieu dans une structure donnée. La structure est un système spécifique de règles et de ressources, défini et limité. La société dont fait partie un individu est un ensemble de structures et non une seule structure. Les ressources sont des propriétés des structures auxquelles appartient l’individu. L’individu peut utiliser les ressources à disposition dans les structures ou non. L’utilisation de ces ressources permet durant les interactions entre individus, d’une part de produire et reproduire l’interaction, d’autre part, de faire preuve d’agentivité. Même dans des structures contraignantes, où l’absence de choix est présente, l’individu reste un agent et peut donc être agentif.
Il est de première importance de reconnaitre qu’une situation d’« absence de choix », dans laquelle peut se retrouver un individu socialement contraint, ne doit pas être assimilée à une dissolution de l’action comme telle (Giddens, 2005, p. 63).
L’agentivité peut donc survenir dans toute structure, sans limitation. Les mutantes pourraient donc même dans une structure contraignante, par exemple sa culture religieuse, décider d’utiliser son pouvoir même s’il est vu comme un péché ou comme l’œuvre du diable. Pour Giddens, les structures ne sont pas seulement contraignantes étant donné leurs règles, elles sont aussi facilitantes.
Les normes représentent des « limites « factuelles » de la vie sociale à l’intérieur de lesquelles une variété d’attitudes de manipulations sont possibles » (Giddens, 2005, p. 52).
Il y a donc une certaine possibilité d’action, une agentivité potentiellement utilisable que permettent les structures. Les normes de genre par exemple font partie des structures. Ces normes contraignantes permettent aussi une transgression. Par exemple, la sexualité avec plusieurs partenaires est mal vue, mais en même temps, les normes n’empêchent pas de prendre de façon provocante un statut assumé de multipartenariat sexuel ou d’endosser un statut imposé. Toutefois, la perte du statut d’agent est possible, s’il y a perte d’exercice de pouvoir.
Un agent cesse de l’être s’il perd cette capacité de « créer une différence », donc d’exercer du pouvoir (…) Le pouvoir n’est pas lui-même une ressource; celles-ci sont un médium qui rend l’exercice du pouvoir possible en tant qu’élément routinier de l’actualisation des conduites dans la reproduction sociale (Giddens, 2005, p. 63).
L’agentivité est donc bien lié au pouvoir et à son utilisation. Mais le pouvoir est bien distinct des ressources qui sont un support à son exercice. En complément de son modèle de constitution de la société, Giddens apporte un autre modèle plus individuel. Ce modèle de stratification du moi comporte trois processus entremêlés : la réflexivité, la rationalisation et la motivation. Ces trois bases interviennent dans le processus d’agentivité. La réflexivité correspond à la capacité d’énoncer ses buts si on les demande, d’exprimer les raisons de ses actions de manière discursive. Plus exactement, c’est la compétence de reconnaitre chez soi les origines de ses actions. La réflexivité est liée au contrôle de l’action opéré dans les interactions qui permet l’ajustement de sa place dans la structure. Ce contrôle porte aussi bien sur la conduite de soi que sur la conduite de l’autre et le contexte.
Le contrôle réflexif est un trait caractéristique de toute action; il porte à la fois sur la conduite de celui ou celle qui exerce ce contrôle et sur celle d’autres acteurs. En effet, les agents ne se contentent pas de suivre de près le flot de leurs activités et d’attendre des autres qu’ils fassent de même, ils contrôlent aussi, de façon routinière, les dimensions sociales et physiques des contextes dans lesquels ils agissent (Giddens, 2005, pp. 53-54).
Dans cette citation, on voit bien la double dimension de construction et de reproduction, d’une part, par intégration des normes préexistantes et contrôle de ses propres interactions, et d’autre part, le contrôle opéré sur les autres par la reproduction de ces normes. Les mutantes représentées dans les comics peuvent donc se voir attribuer un contrôle de leur action et en même temps reproduire des normes en contrôlant les interactions d’autres personnages. Par exemple, une mutante peut exprimer son choix d’un rapprochement de personnages masculins et dévaloriser la promiscuité d’une autre mutante. La base suivante de la stratification du moi est la rationalisation. La rationalisation renvoie à l’intentionnalité. L’intentionnalité est le fait d’avoir un but, un objectif conscient visé par l’action. Cependant, pour Giddens (2005), certaines situations sont exemptes d’intentionnalité. L’intentionnalité est absente si les conséquences de l’action sont inattendues. Enfin, la troisième base de la stratification du moi est la motivation, le degré d’implication engagé dans une action. De ces trois bases, on retiendra la dimension réflexive et la rationalisation qui interviennent directement dans l’agentivité, et peuvent être représentées dans les pages de comics. La motivation quant à elle semble difficile à jauger dans les comics, le passage à l’action étant souvent exempt des pensées qui le précèdent.
Le modèle de Giddens (2005) semble incomplet pour Barker (2016) qui apporte quelques précisions. Il explicite surtout l’appartenance et le positionnement de l’agentivité dans une structure sociale préexistante rendant la connaissance réflexive de l’origine de ses actions presque inaccessible, puisqu’elle passe par le filtre social intégré.
« We can never have ‘objective’ knowledge of the conditions of our own actions. This is because we cannot step outside of those circumstances in order to compare our pristine selves with those conditions. Whatever we have to say about ourselves and the conditions of our existence is always already form within our socially constituted selves. The best we can do is to produce another story about ourselves. This section has presented the case that agency is determined, that is the socially constructed capacity to act and nobody s free in the sense of undetermined (in which event, one could not ‘be’ at all). » (Barker, 2016, p. 282).
Barker (2016) définit lui aussi l’agentivité comme une capacité d’agir, mais ajoute qu’elle est construite socialement. Parmi les autres définitions de l’agentivité, Wiebe (2010) propose une définition de ce qu’elle est et de ce qu’est son contraire, la passivité, dans une sorte de fusion entre l’activité et la passivité.
« Agency is the condition of activity rather than passivity. It refers to the experience of acting, doing things, making things happen, exerting power, being a subject of events, or controlling things. This is one aspect of human experience. The other aspect of human experience is to be acted upon, to be the object of events, to have things happen to oneself, to be constrained and to be controlled: to lack agency. As people are both actors and acted upon, the interplay between agency and context is a central issue in case study research across all the disciplines. » (Wiebe, 2010, p. 12).
Cette citation confirme bien la double articulation pour les agents d’être dirigés par un contexte préexistant, une structure, et d’être agentif, d’agir. Dans son modèle issu de Giddens (2005), Wiebe (2010) pose aussi trois bases à l’agentivité. Il intègre le pouvoir et distingue la rationalisation de l’intentionnalité. L’intentionnalité correspond à la volonté première d’agir. La rationalisation correspond à la planification de l’atteinte du but (le comment) et la prévision des conséquences de ses actes (ce qui en découle). Enfin, le pouvoir correspond aux ressources et capacités données par la structure. Ce pouvoir n’est pas distribué équitablement entre tous, ce qui fait que l’agentivité n’est pas la même pour tous dans un même contexte. Cette idée d’une capacité d’agir distribuée différemment, Barker (2016) la confirmera par la suite.
« Here, culturally generated agency is enabled by differentially distributed social resources. This gives rise to various degrees of the ability to act in specific spaces. (…) Pricisely because agency is socially and differentially produced, some actors have more domains of action than others. » (Barker, 2016, p. 281).
La différence se traduit par des variations de degrés d’agentivité et des groupes d’agents ont par conséquent moins d’agentivité que d’autres. Cette différence est due à la dimension structurelle de la construction de l’agentivité. De manière globale, l’agentivité est déterminée par une dimension structurelle. Cette structure déterminera l’agentivité dans le sens où une personne dans une culture plus contraignante aura moins de capacité d’agentivité qu’une personne dans une culture moins contraignante. La capacité d’agentivité est déterminée culturellement, mais l’agentivité peut varier de manière individuelle
Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) s’approprient les trois dimensions construites par Wiebe (2010) : l’intentionnalité, la rationalité et le pouvoir. L’intentionnalité serait la capacité à agir avec la volonté de faire les actes correspondants, avec un but spécifique à l’esprit. Si l’on agit sans intention, on manque d’agentivité. Ensuite, la rationalité implique la réflexion sur le pourquoi d’une telle action et le contrôle des conséquences de ses actions. Enfin, le pouvoir est nécessaire pour intervenir sur le monde ou s’en restreindre. On a de l’agentivité si l’on est capable de faire une différence, faire changer le monde ou influencer l’environnement. Le pouvoir est une ressource qui est distribuée de manière variée et inégale. Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) opérationnalisent l’intentionnalité, la rationalité et le pouvoir en trois marqueurs respectifs : la suggestion d’idées, l’action indépendante et les super-pouvoirs. La « suggestion d’idées », correspondrait au fait d’exprimer verbalement et à haute voix sa volonté. Si ces idées sont mises en œuvre, il y a agentivité. Si ces idées sont rejetées ou ignorées, l’agentivité est diminuée ou niée. L’« action indépendante » correspond à aller de l’avant sans permission ou support. Les personnages traduisent leurs idées en mouvements, exprimant ainsi leurs volontés. Les « super-pouvoirs » sont observés à travers le recours des personnages à ces derniers : ils utilisent leurs super-pouvoirs ou se refrènent de les utiliser. Comme présenté plus haut, le genre féminin influe sur la possession et l’utilisation de pouvoirs dans les comics. Ces pouvoirs reflètent la part d’agentivité attribuée aux mutantes. Les pouvoirs, les interactions sociales et la capacité d’actions indépendantes ne sont pas les seuls reflets de l’agentivité. L’expression de la sexualité participe aussi à cerner l’agentivité des personnages.
3.3L’agentivité sexuelle
Si nous avons vu précédemment que l’agentivité se basait sur une capacité d’agir, nous irons plus loin dans cette partie, pour ouvrir à la notion d’agentivité sexuelle. En premier lieu, Lang (2011) ajoute au concept d’agentivité la notion de subjectivité réflexive, « [C] apacité d’agir de façon compétente, consciencieuse et réfléchie » (Lang, 2011, p. 190) traduisant ainsi l’idée de Smette, Stefansen et Mossige (2009). Lang passe ensuite à un niveau plus complexe de l’agentivité en développant la notion d’agentivité sexuelle. En effet, ce qui influence les comportements, les normes et discours, c’est-à-dire le social, s’applique à la dimension sexuelle des êtres.
La sexualité constituant un « lieu » social, la manière dont nous interagissons avec nos partenaires sexuels dépend grandement des discours et des normes sociales (Lang, 2011, p. 189).
Les effets prescripteurs du social influencent la manière d’interagir avec l’autre. Il en est de même pour la sexualité. Or, l’interaction sexuelle entre personnages est à la fois représentée et symbolisée dans les comics. La représentation montre par exemple un rapprochement des personnages, des caresses, des baisers. La symbolisation est souvent constituée par des stratégies d’évocation indirectes comme l’ellipse narrative, l’absence d’éléments qui n’empêche pas la compréhension, très utilisée dans le cinéma (Williams, L., 2006). L’agentivité sexuelle n’est cependant pas juste une application du concept d’agentivité au domaine sexuel. L’agentivité sexuelle suppose des niveaux de conscience plus importants requis par la complexité inhérente à la sexualité de par ses dimensions multiples et interconnectées. Ainsi pour Averett, Benson et Vaillancourt (2008), l’agentivité sexuelle consiste en une possession de son propre corps et une expression de sa sexualité. Être agent de sa sexualité requiert une prise d’initiative, un désir conscient, un sentiment de confiance et de liberté dans l’expression de sa sexualité.
« In this research project sexual agency is discussed in forms that include initiative-taking, awareness of desire, and the individual’s confidence and freedom to express sexuality in behavior. » (Averett et coll., 2008, p. 332).
Hammers (2009) ajoute deux notions : la prise de contrôle de son propre corps et un sentiment d’avoir droit au désir et au plaisir. Hammers (2009) toujours, recense aussi que l’agentivité sexuelle contient les notions d’aisance, de confort, mais surtout de pouvoir. Ainsi, Albanesi (2009) définit l’agentivité sexuelle comme la volonté d’exercer du pouvoir dans le cadre d’une relation sexuelle. Le refus de l’exercice de pouvoir dans la sexualité est vu comme un acte non agentif (Albanesi, 2009). La potentialité d’agir ne suffit pas, elle suppose aussi un passage à l’action (Lang, 2011).
Enfin, l’agentivité se rapproche de la notion de subjectivité sexuelle de Tolman (2002), le sentiment d’être un sujet sexuel, ce qui veut dire penser avoir droit au plaisir sexuel et faire des choix sexuels.
« By sexual subjectivity I mean a person’s experience of herself as a sexual being, who feels entitled to sexual pleasure and sexual safety, who makes active sexual choices, and who has an identity as sexual being. » (Tolman, 2002, pp. 5-6).
La subjectivité sexuelle est donc affaire de sensations et de sentiments, mais recouvre moins l’action que le potentiel d’action. L’agentivité sexuelle, plus complète, intègrerait la subjectivité sexuelle et réfère à la gestion de sa sexualité de manière responsable (Lang, 2011). C’est ce qui fait dire à Lang que l’agentivité est aussi « se sentir et se savoir à l’origine de ses actes » (Lang, 2011, p. 192). C’est ce soi sexuel qui permet de définir désir et limites. L’agentivité sexuelle est à la fois potentialité (se savoir, se sentir, se penser) et passage à l’action (initier, régir, choisir, refuser). Les deux dimensions sont nécessaires à l’agentivité sexuelle.
Le genre influence les comics et cette influence évolue selon les époques. Nous souhaitons observer si l’éditeur Marvel est progressiste et s’il a des valeurs féministes, contrebalançant ainsi l’influence du genre comme diviseur hiérarchique. Pour ce faire, ce travail se propose d’étudier la place des personnages féminins dans les comics, le niveau d’importance qui leur est donné et le rôle qui leur est conféré, et ce sur plusieurs périodes de publication. Nos attentes se portent sur l’importance de l’agentivité conférée aux mutantes et la progression de celle-ci au fil du temps. Il est attendu une évolution similaire pour l’agentivité sexuelle de ces mutantes.
Dans la partie suivante nous allons présenter comment les marqueurs de l’agentivité et de l’agentivité sexuelles vont être cherchés dans les pages de comics.
4CHAPITRE IV
MÉTHODOLOGIE
Le présent chapitre explique la démarche méthodologique employée pour réaliser ce travail. Nous présenterons d’abord notre façon de procéder suivant un devis mixte. Puis, les méthodes concrètes qui ont été entreprises seront détaillées : la détermination du corpus choisi, le type d’échantillonnage, le recueil des données, et le traitement des données.
4.1Méthode
Une étude quantitative répondrait à notre objectif de dresser l’évolution socio-historique de la parité des genres sans toutefois s’intéresser à l’agentivité. Une étude qualitative répondrait seulement à notre deuxième objectif. Afin de répondre à nos deux objectifs, on a choisi un devis mixte. Le devis est un plan qui précise les stratégies et étapes de la recherche (Gray et coll., 2016). Le devis mixte est un type de recherche qui combine des approches qualitatives et quantitatives (Johnson et coll., 2007). Les données sont d’égale importance, mais le recueil des données est séquentiel donnant la priorité aux données quantitatives. Ce devis mixte sera donc de type B (Bourgault et coll., 2010).
4.1.1Portrait statistique de la parité dans les comics
Pour répondre à l’objectif de dresser un portrait statistique descriptif, nous utilisons la méthode et le corpus de Darowski (2014). La série X-men, relatant les aventures des mutants a commencé en 1963 et continue, en 2019, d’être publiée. Notre analyse prévoit de reprendre le même corpus et les mêmes périodes distinguées dans le travail sur les comics et le genre de Darowski, mais d’y ajouter trois périodes plus contemporaines. Darowski s’arrête en 2008 alors que la série s’est poursuivie jusqu’en 2011, puis a connu des relances en 2011, 2013 et 2016[5]. Les périodes de Darowski qui se basent en partie sur le découpage historique des comics en âge sont conservées pour permettre une comparaison des résultats. Nous nous proposons d’intégrer dans notre recherche, les numéros postérieurs aux limites posées par Darowski, à savoir, la fin de la série et les deux premières relances seulement. Le corpus que nous utiliserons relève d’un contenu public et est rendu disponible par une plate-forme payante de mise à disposition (Marvel Unlimited). Il se compose de 573 comics dont la publication est organisée de la manière suivante (voir tableau 1) : soit les 66 premiers numéros de la série puis les numéros #94 à # 544 (les numéros #67 à # 93, sont des rééditions), un numéro spécial Giant Size X-men#1, les 20 numéros du premier relancement de la série et les 36 numéros du second relancement de la série. Les autres numéros spéciaux n’ont pas été consultés pour les raisons suivantes. Les numéros spéciaux (annuels, hors série, séries limitées) ne sont pas nécessaires à la compréhension de la série et n’apportent pas de grandes modifications aux résultats observables. Le numéro Giant-size X-men#1 a été conservé justement par ce qu’il initie le changement de cap de la série X-men et introduit de nouveaux personnages. Les périodes de publications sont découpées comme suit : X-men#1-66 (1963-1970) ; X-men#94-113, Uncanny X-men#114-166 et Giant Size X-men#1 (1975-02/1983) ; Uncanny X-men#167-280 (03/1983-09/1991) ; Uncanny X-men#281-393 (10/1991-05/2001) ; Uncanny X-men#394-500 (06/2001-07/2008) ; Uncanny X-men#501-544 (08/2008-10/2011) ; Uncanny X-men (Vol2)#1 à 20 (11/2011-10/2012) ; Uncanny X-men (Vol3)#1 à 34 et 600 (02/2013-2015). Nous commencerons donc par reprendre le travail de recensement de Darowski en nous intéressant uniquement aux personnages mutants. D’abord pour obtenir une vision générale, on a constitué une liste des mutants présents dans les séries X-men. Ensuite, pour dresser un portrait de la place des femmes dans les comics, on a constitué une deuxième liste, cette fois-ci de mutantes uniquement. Ainsi une comparaison statistique fut possible entre les genres en termes de création et de présence. On peut penser que plus un personnage est présent, plus il est porteur du discours du créateur sur le genre du personnage. De même, plus un genre est représenté, plus il lui est confié de l’importance, de l’intérêt, du pouvoir et de l’agentivité
Tableau 1 : Organisation des périodes de publications des X-men entre 1963 et 2015
Publication |
Dates |
Époque |
Nombre de comics |
|
Première période Darowski |
X-men #1-66 |
1963-1970 |
Création de la série Âge d’argent |
66 |
|
X-men #67-93 |
1970-1975 |
Réédition de la série |
|
Deuxième période Darowski |
Giant size X-men #1 X-men #94-113 Uncanny X-men #114-166 |
1975-02/1983 |
Relance de la série Âge de bronze |
74 |
Troisième période Darowski |
Uncanny X-men#167-280 |
03/1983-09/1991 |
Expansion de l’univers X-men (+ 2 séries) Âge de bronze Âge moderne |
114 |
Quatrième période Darowski |
Uncanny X-men#281-393 |
10/1991-05/2001 |
Nouvelle équipe, nouveaux créateurs (+1 série) Âge moderne |
113 |
Cinquième période Darowski |
Uncanny X-men#394-500 |
06/2001-07/2008 |
Sortie du film X-men Limitation du nombre de mutants Âge moderne |
107 |
Sixième période |
Uncanny X-men#501-544 |
08/2008-10/2011 |
Fin de la période précédente Âge moderne Nouvel âge d’or |
44 |
Septième période |
Uncanny X-men (Vol2)#1-20 |
11/2011-10/2012 |
Relance de la série Nouvel âge d’or |
20 |
Huitième période |
Uncanny X-men (Vol3)#1-34 Uncanny X-men (Vol3)#600 |
02/2013-2015) |
Relance de la série Nouvel âge d’or |
35 |
De quelle manière avons-nous procédé au recensement ?
Un premier corpus (corpus 1) a été établi, en listant les personnages au fur et à mesure de la relecture des comics. La sélection a été opérée sur un critère d’identification individuelle, soit le fait de se distinguer par le nom ou l’apparence. De nombreux mutants sont simplement représentés, non nommés, non identifiables physiquement et font partie d’un groupe sans distinction d’identité. Les Morlocks sont par exemple un groupe de mutants vivant dans les tunnels sous les grandes villes et rejetés pour leur apparence. Si quelques Morlocks sont identifiés, d’autres n’existent que comme membres du groupe et ne seront pas comptabilisés. D’autre part, certains personnages référencés par Darowski ont depuis perdu leur statut de mutants par des choix éditoriaux. Ils ne sont donc pas comptabilisés dans la présente recherche[6]. Afin de s’assurer de bien sélectionner des mutants, on vérifiera le statut de mutant dans les deux sources numériques Comic Vine et Wikia fan, dont les communautés participantes sont particulièrement réactives en termes d’actualisation des données concernant les personnages de comics. Le cas échéant, le mutant entre dans la liste et se voit attribué un numéro selon la récence de son apparition dans la série. Durant la consultation de ces sites, nous avons récupéré la date de création du personnage. La liste obtenue référence le nom de code et l’identité privée quand elle est disponible et différente du nom de code. Certains personnages prennent plusieurs noms de code au fil des années. Kitty Pryde par exemple porte les noms de code Ariel, Sprite et Shadowcat. Jean Grey a porté les noms de code Marvel Girl, Phoenix et Dark Phoenix avant de s’affranchir d’un nom de code. En conséquence, ces mutantes sont identifiées par leurs identités privées plutôt que par leurs noms de code. La liste référence aussi le genre des personnages : masculin, féminin ou inconnu. Cette dernière catégorie de genre a été créée pour des mutants cités, mais non représentés, ou bien pour lesquels, aucun élément ne permet de distinguer le genre. La liste référence encore l’orientation sexuelle déterminée d’après les informations données uniquement dans les séries Uncanny X-men et le nombre de partenaires représentés s’il y a lieu. Deux mutantes ayant eu de nombreux partenaires, mais dont le chiffre n’est pas explicitement référençables, porteront la mention « partenaires ». On trouvera aussi les origines ethniques et le groupe culturel d’appartenance quand il est évoqué, le rôle (adversaire, héroïne) et l’occupation (étudiant, criminel, enseignant…). Enfin, la liste référence leurs pouvoirs. Des catégories de pouvoirs ont ensuite été construites puis regroupées le cas échéant si une capacité appartenait à un registre plus large, par exemple la capacité de créer des illusions qui appartient à la catégorie télépathie. Afin d’observer si une parité s’applique à la fréquence d’apparition des personnages, nous avons couplé ce recensement avec un recueil du nombre d’apparition des personnages. La fréquence d’apparition d’un personnage est comptabilisée selon que le mutant apparait ou non dans un épisode.
4.1.2L’étude des portraits de l’agentivité
Pour analyser l’agentivité, un deuxième corpus (corpus 2) est constitué. Ce deuxième corpus est issu du premier corpus plus large. Il consiste en un échantillon des mutantes apparaissant 10 fois ou plus dans la série X-men, soit 33 mutantes. Ce critère minimum de 10 apparitions a été choisi pour limiter le nombre de personnages étudiés dans un but de faisabilité. Ce critère chiffré est aussi suffisamment important pour inclure une importante diversité de personnages en termes d’orientations sexuelles et de groupes socioethniques. Pour répondre à l’objectif d’observation de la place donnée aux femmes, nous nous sommes intéressés à l’agentivité et avons choisi d’opérationnaliser les concepts de Wiebe (2010) en suivant les travaux qualitatifs de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018). Ainsi, nous avons repris les trois marqueurs que les chercheures avaient utilisés : les idées suggérées et leur réception, les actes indépendants et les pouvoirs. Ces trois marqueurs permettent d’approcher les variables de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) : l’agentivité sociale, l’agentivité d’indépendance et l’agentivité de pouvoir. Pour compléter ce portrait, l’agentivité sexuelle a été ajoutée comme composante de l’agentivité globale des mutantes. Cependant, notre corpus est plus important que celui de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018), ce qui nous permet de documenter tous les types de manifestations positives et négatives de l’agentivité. La méthode de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) implique une analyse textuelle des dialogues, de la construction visuelle des personnages (costumes ou vêtements, position du corps, armes, expressions) et de leurs comportements (aide, combat, querelle). Pour pouvoir décrire et observer les évolutions de l’agentivité des mutantes dans le temps, nous avons souhaité analyser les signes graphiques et les discours (dialogues, narrativité, choix scénaristiques). Ces signes et discours ne sont ni homogènes ni statiques. En effet, les normes morales et sociales, incarnées par la censure contraignent les auteurs (scénariste et dessinateur) à adapter leur matériel. Selon l’époque, les interdits ne sont pas les mêmes, par conséquent les stratégies de représentation des genres diffèrent. De plus, tout en cherchant à maintenir une cohérence et une continuité, les interprétations des dessinateurs et des scénaristes mêlés aux choix éditoriaux ne sont exemptes ni de divergences ni de contradictions. L’étude de l’agentivité a donné lieu à une analyse inductive et les différentes catégories d’expressions ont émergé par un travail de regroupement lors du recueil des données, témoignant d’allées et venues entre matériel et grilles de lecture. L’agentivité sociale a été observée à travers les idées suggérées. Ces idées ont été recherchées, dénombrées puis réparties selon la réaction du destinataire en acceptation ou en rejet. Les idées acceptées ont été catégorisées selon la forme de la suggestion (conseil, plan, etc.). Nous avons préféré observer la façon de rejeter les suggestions, plutôt que la forme des idées refusées. S’intéresser aux idées refusées aurait été logique, mais aurait aussi donné moins d’informations sur les stratégies utilisées pour refuser une suggestion. Les idées rejetées ont donc été catégorisées selon la forme de refus exprimée (minimisation, ignorance, etc.). L’agentivité d’indépendance a été observée à travers les actions indépendantes et les situations de non-indépendance. Les actions indépendantes sont menées sans accord préalable ou acceptation. Les actions indépendantes ont ensuite été catégorisées selon la forme prise (initiative, action stratégique…). Les situations de non-indépendance correspondent aux situations où l’indépendance est empêchée ou bien aux situations de dépendance. Les situations correspondant à l’utilisation du pouvoir ont été séparées et gardées pour la section suivante. Les situations ont ensuite été regroupées en catégories de styles de dépendance. L’agentivité de pouvoir a été observée à travers le contrôle de l’utilisation du pouvoir (qui en dispose), la non-utilisation de pouvoirs et la réduction de la capacité à utiliser son pouvoir. L’utilisation du pouvoir n’est pas recensée justement parce qu’elle est la raison d’être des comics de superhéros. L’utilisation du pouvoir est quasi systématique en elle-même. Les combats sont autant de situations où le personnage fait le choix d’utiliser son pouvoir pour protéger des victimes ou des passants et affronter des menaces. Nous avons donc surtout porté notre attention aux situations où une mutante choisissait volontairement de ne pas utiliser son pouvoir, ce qui participe de l’agentivité de pouvoir (choisir d’utiliser ou non son pouvoir). Les situations de réductions de capacité à utiliser son pouvoir ont ensuite été regroupées en catégories de formes de réduction. Du point de vue de la comptabilité une situation n’est comptée qu’une fois même si elle a lieu dans plusieurs épisodes. Si l’évènement est le même, mais que la cause est différente, on comptera deux évènements. Ainsi Emma Frost est bloquée à deux reprises dans sa forme de diamant : la première fois pour emprisonner une entité, la deuxième fois parce qu’elle est amputée. La situation est la même, mais arrive deux fois.
L’agentivité sexuelle a été observée à travers les actions sexuelles initiées ou agies et les situations où l’agentivité sexuelle est empêchée, ainsi que les images témoignant d’une objectification des mutantes. Pour être catégorisée comme une action sexuelle agentive, l’action doit être initiée par le personnage féminin ou être consentie explicitement. Les actions sexuelles agentives (baisers, relation sexuelles) ont ensuite été regroupées selon les actes sexuels. Les freins à l’agentivité sexuelle des mutantes ont été catégorisés selon la provenance des actions : auteurs (par exemple, les dessinateurs choisissent de représenter le personnage nu) ou environnement (un jugement moral est porté par un autre personnage ou bien encore, toute action d’un autre personnage sur la mutante qui freine l’agentivité de la mutante). Puis, à la relecture, des sous-catégories ont été créées à l’intérieur de chacune de ces catégories de provenances. Si un mode d’objectification a lieu dans des épisodes successifs de manière continue, il n’est compté qu’une fois. Par contre si ce n’est pas de manière continue, il est comptabilisé à chaque occurrence. Psylocke est en sous-vêtements dans trois épisodes successifs, mais elle se rhabille entre temps chaque fois. On comptera donc trois occurrences. Enfin, un évènement particulier touche tous les personnages de la série, on ne comptera qu’une seule occurrence. L’évènement appelé Inferno une tentative d’envahissement de New York par des démons, influence toutes les mutantes. Les effets d’Inferno s’apparentent à une possession. Cela se traduit par des comportements plus agressifs, ainsi qu’une sexualisation des personnages dans leurs postures, leurs attitudes et dans un déshabillage progressif par déchirement des costumes. Les effets ne seront comptabilisés qu’une seule fois. Les expressions de l’agentivité sexuelle en tant que potentialités : se savoir, se sentir, se penser (Lang, 2011) ont été d’emblée exclues. En effet, ces potentialités semblent rares ou absentes du contenu des comics.
La comparaison des occurrences d’évènements ou situations comptabilisées reste ardue du fait du nombre inégal de comics par périodes de publication. C’est une limite importante du découpage effectué par Darowski que nous avons souhaité respecter. Pour pallier à ce défaut, les résultats seront divisés par le nombre de numéros publiés pendant la période. Cette opération permettra une analyse des résultats plus poussée. Nous tenterons ainsi d’éviter de surestimer la prévalence d’un type d’évènement pour les périodes les plus longues ou de sous-estimer d’autres prévalences pour les périodes les plus courtes.
4.2Enjeux éthiques
Les considérations éthiques sont celles applicables au matériel tombé dans le domaine public. Les comics sur lesquels se base la présente recherche, en tant que publications imprimées, sont légalement accessibles et protégés en vertu de la loi par les droits d’auteurs et ne contiennent pas d’informations personnelles.
CHAPITRE V
RÉSULTATS
Le présent chapitre propose les résultats obtenus à partir de notre corpus de 573 numéros de comics X-men publiés entre 1963 et 2015. Premièrement, nous présenterons un portrait statistique et global des mutantes (corpus 1). Nous y décrirons la présence des mutantes dans la série X-men, les différentes places données aux mutantes dans la série à travers la proportion et la fréquence d’apparition. Puis nous proposerons un profil plus précis des mutantes constituant notre échantillon plus restreint (corpus 2). La partie suivante explorera les formes que prennent les quatre agentivités sur lesquelles repose notre recherche : l’agentivité sociale, l’agentivité d’indépendance, l’agentivité de pouvoir et l’agentivité sexuelle.
4.3Profil des mutantes
4.3.1Nombre et fréquence d’apparition des mutants
Dans un premier temps, nous allons faire voir plus concrètement la présence quantitative des mutantes : leur nombre et leur fréquence d’apparition. On observe une sous-représentation concernant la part de personnages féminins parmi les mutants. Le tableau 2 nous montre que les mutantes ne représentent qu’un peu plus du tiers du nombre total de mutants. Il y a donc une majorité de personnages mutants masculins (presque le double) dans les pages de comics.
Tableau 2 : Répartition du nombre de mutants introduits dans la série X-men entre 1963 et 2015 selon le genre
Mutantes |
120 |
Mutants masculins |
225 |
Mutants dont le genre est inconnu |
2 |
Nombre total de mutants |
347 |
Proportion de mutantes (en %) |
34,6 |
Dans un second temps, la place donnée aux mutantes se concrétise par le nombre de mutantes et leur fréquence d’apparition selon les périodes de publication (Tableau 3). La ligne « mutantes crées » correspond au nombre de mutantes dont la première apparition dans un comic survient pendant une des périodes établies. La ligne « mutantes apparues » correspond au nombre de mutantes réellement présentes dans le comic X-men durant ladite période. Ainsi, durant la seconde période, 14 mutantes ont été crées, mais seulement douze étaient présentes dans le comic X-men. Pour commencer, une constante est stable : le nombre de mutantes créées ou apparues est toujours inférieur à celui des mutants. De manière globale, on observe une augmentation continue dans la création de personnages avec un pic entre 1983 et 2001, une baisse, accélérée dans les années 2011-2012 avec aucun personnage créé puis un faible regain depuis 2013.
Tableau 3 : Répartition de création et d’apparition des mutants dans la série X-men selon le genre et la période de publication
|
1963-1970 |
1975-1983 |
1983-1991 |
1991-2001 |
2001-2008 |
2008-2011 |
2011-2012 |
2013-2015 |
Total |
Mutantes créées |
|||||||||
2 |
14 |
30 |
28 |
30 |
4 |
0 |
8 |
116 |
|
Mutants créés |
|||||||||
19 |
20 |
55 |
57 |
44 |
10 |
0 |
17 |
222 |
|
Total des mutants créés |
|||||||||
21 |
34 |
85 |
85 |
74 |
14 |
0 |
25 |
338 |
|
Mutantes apparues |
|||||||||
2 |
12 |
39 |
51 |
53 |
35 |
15 |
29 |
236 |
|
Mutants apparus |
|||||||||
23 |
27 |
72 |
95 |
83 |
45 |
18 |
43 |
406 |
|
Mutants au genre inconnu apparus |
|||||||||
0 |
0 |
2 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
2 |
|
Nombre total de mutants apparus |
|||||||||
25 |
39 |
113 |
146 |
136 |
80 |
34 |
72 |
645 |
|
Proportion de mutantes apparues (en %) |
|||||||||
8 |
30,76 |
34,5 |
34,9 |
39 |
43,8 |
44,1 |
40,3 |
|
Pour les mutantes, on observe cette même progression dans la création, à la différence que cette création reste stable entre les années 1983 et 2008. La succession de la chute et de la reprise à la hausse du nombre de mutants est moins importante pour les mutantes que pour les mutants.
Nous allons maintenant décrire l’évolution de la proportion de mutantes (Tableau 3). La première période montre une sous-représentation très importante des mutantes (8 %). La proportion de mutantes de la deuxième période représente alors plus du quart des mutants (30,76 %). La proportion de mutantes dépasse le tiers des mutants dès la troisième période (34,5 %). La quatrième période montre une stabilité des résultats (34,9 %). La cinquième période atteint le maximum en termes de mutantes apparaissant dans les comics (53). La proportion de mutantes continue sa progression et atteint 39 %. Au cours de la sixième période, le nombre total de mutants est réduit à 184 par choix éditorial. Cette réduction du nombre est plus importante chez les mutants masculins, ce qui augmente la part de mutantes parmi les mutants utilisés (43,8 %). La septième période est marquée par l’absence de nouveau mutant qu’il soit masculin ou féminin. La place des mutantes atteint un pic record de 44,1 %, approchant la moitié des personnages utilisés. Enfin durant la huitième période, peu de personnages sont créés, encore moins des mutantes (8). Plus de personnages des deux genres sont utilisés, ce qui rabaisse la part de mutantes par rapport au nombre total de mutants des deux genres (40,3 %). Pour continuer notre analyse, nous allons maintenant observer la fréquence d’apparition des personnages au cours des publications (Tableau 4).
Tableau 4 : Fréquence d’apparition des mutants et proportions des fréquences d’apparition des mutantes dans la série X-men selon le genre et la période de publication
Durant la première période, les mutantes occupent près de 20 % des apparitions de mutants. Ce taux augmente jusque dans les années 1983 à 1991, avec un pic à 46,11 % soit près de la moitié des apparitions de mutants. Le taux recule ensuite jusque dans les années 2001-2008 avec un minimum de 34,69 %. Le taux remonte ensuite jusqu’en 2011-2012 avec un nouveau pic à 47,22 %, puis rechute à 42,13 % en fin 2015. Les mutantes sont toujours moins utilisées que les mutants, mais durant certaines périodes (3 et 7) la fréquence d’apparition des mutantes approche la moitié des apparitions. Il nous faut maintenant interroger cette présence des mutantes. Qui sont-elles ? Quels éléments sont mis de l’avant ?
4.3.2 Profils des mutantes de notre échantillon (corpus)
Sur 86 personnages apparaissant plus de 10 fois, 33 sont des mutantes (N=33) (Tableau 5 et Tableau 6). Une seule mutante, Storm, figure dans les 10 mutants apparaissant le plus et elle se place au premier rang, ce qui en fait un personnage emblématique de la série. Les âges des personnages sont rarement donnés et sur une période de 10 ans, on observe un vieillissement de 10 mois. La temporalité n’est pas respectée dans les comics, les personnages restant égaux à eux-mêmes physiquement. Cependant, les mutantes sont pour la majorité jeune, puisque leur introduction dans la série est souvent en lien avec la découverte de leurs pouvoirs, pouvoirs s’exprimant à la puberté. Une mutante, Destiny, est explicitement âgée sans que son âge soit clairement établi. La majorité des mutantes a la peau blanche (21), quatre sont asiatiques, deux sont afro-américaines (Storm, née à Manhattan est de mère kényane et de père américain), deux ont des peaux de couleurs inhabituelles (bleue, rose fuchsia), une est métisse, une est autochtone. On notera aussi la présence de deux morlocks qui, comme expliqué en méthodologie sont une sous culture mutante, qui vit dans les tunnels sous les grandes villes suite aux discriminations physiques et/ou classistes. La religion est peu représentée dans la série. Deux mutantes seulement affichent leur foi, une juive et une catholique, par le port de signes religieux, par la participation à des rituels ou des réunions communautaires. L’orientation sexuelle est établie sur le critère de la représentation d’un partenaire, ou la représentation de l’attirance pour un partenaire. 25 mutantes sont hétérosexuelles, deux sont lesbiennes, une est bisexuelle. Cinq autres mutantes n’expriment ou ne montrent pas d’indice quant à leur orientation sexuelle. Neuf mutantes ont eu un partenaire sexuel ou amoureux, dont les deux mutantes lesbiennes, cinq ont eu deux partenaires, trois ont eu trois ou plus de trois partenaires (dont une mutante bisexuelle et une mutante travailleuse du sexe).
Tableau 5 : Caractéristiques des mutantes de l’échantillon (orientation sexuelle, partenariat, groupe ethnoculturel d’appartenance).
Nom |
Apparitions |
Orientation |
Origine ethnique/culturelle |
Storm |
314 |
Hétérosexuelle (partenaires) |
Afro-américaine |
Jean Grey |
187 |
Hétérosexuelle (2 partenaires) |
Caucasienne américaine |
Psylocke |
139 |
Hétérosexuelle (2 partenaires) |
Caucasienne anglaise Japonaise |
Rogue |
136 |
Hétérosexuelle (1 partenaire) |
Caucasienne américaine Mississippi |
Emma Frost |
129 |
Hétérosexuelle (2 partenaires) |
Caucasienne américaine |
Kitty Pryde |
121 |
Hétérosexuelle (1 partenaire) |
Caucasienne américaine Juive |
Dazzler |
82 |
Hétérosexuelle (1 partenaire) |
Caucasienne américaine |
Polaris |
82 |
Hétérosexuelle (1 partenaire) |
Caucasienne américaine |
Rachel Summers |
72 |
Hétérosexuelle (1 partenaire) |
Caucasienne américaine |
Magik |
70 |
|
Caucasienne russe |
Mystique |
51 |
Bisexuelle (partenaires) |
Caucasienne autrichienne |
Jubilee |
43 |
Hétérosexuelle |
Chinoise américaine |
Callisto |
37 |
Hétérosexuelle (1 partenaire) |
Caucasienne américaine Morlock |
Cuckoos |
34 |
Hétérosexuelles (1 partenaire) |
Caucasiennes américaines |
Husk |
30 |
Hétérosexuelle (2 partenaires) |
Caucasienne américaine Kentucky |
Pixie |
29 |
|
Caucasienne britannique |
Tempus |
28 |
Hétérosexuelle (1 partenaire) |
Caucasienne Australienne |
Hope |
28 |
Hétérosexuelle |
Caucasienne américaine juive
|
Marrow |
26 |
Hétérosexuelle |
Caucasienne américaine Morlock |
X-23 |
22 |
Hétérosexuelle |
Caucasienne américaine |
Tessa/Sage |
21 |
Hétérosexuelle |
Caucasienne Balkans |
Stacy X |
16 |
Hétérosexuelle (partenaires) |
Caucasienne américaine |
Karma |
16 |
Homosexuelle (1 partenaire) |
Coréenne |
Boom Boom |
14 |
Hétérosexuelle (1partenaire)
|
Caucasienne américaine |
M |
13 |
Hétérosexuelle |
Franco-algérienne |
Destiny |
13 |
Homosexuelle (1 partenaire) |
Caucasienne Anglo-autrichienne |
Selene |
12 |
|
Caucasienne Romaine |
Mirage |
12 |
Hétérosexuelle |
Autochtone Américaine |
Surge |
10 |
Hétérosexuelle |
Japonaise |
Frenzy |
10 |
|
Afro-américaine |
Malice |
10 |
|
|
Wolfsbane |
10 |
Hétérosexuelle (2 partenaires) |
Irlandaise Catholique |
La majorité des mutants est principalement composée d’aventuriers qui n’exercent pas d’activité professionnelle. Dans le cas des mutantes, c’est plus complexe. Seize mutantes sont étudiantes à l’école Xavier ou ailleurs. Jean Grey est la seule mutante à avoir fait des études en dehors de l’école Xavier sans qu’on sache jamais quelle discipline elle a étudiée. Kitty Pryde est la seule à avoir atteint un diplôme supérieur, en sachant juste qu’elle a présenté une thèse en philosophie éthique. Deux mutantes sont ou ont été des enseignantes ou des directrices d’établissement, Jean Grey a un temps travaillé en tant que mannequin, Sage en tant que conseiller, Dazzler est chanteuse et Stacy X, travailleuse du sexe. Huit mutantes sont criminelles ou ont un passé criminel, quatre ne sont qu’aventurières.
Tableau 6 : Autres caractéristiques des mutantes de l’échantillon (pouvoir, profession et rôles)
Nom |
Apparitions |
Pouvoir |
Rôles |
Storm |
314 |
Contrôle la météo |
Enseignante/directrice d’établissement Étudiante/aventurière Héroïne |
Jean Grey |
187 |
Télékinésie Télépathie |
Étudiante Mannequin Aventurière Héroïne/Adversaire/Héroïne |
Psylocke |
139 |
Télépathie Télékinésie |
Aventurière Héroïne |
Rogue |
136 |
Appropriation des pouvoirs et de la personnalité |
Criminelle Aventurière Adversaire/Héroïne |
Emma Frost |
129 |
Télépathie Aspect de diamant |
Directrice d’établissement Criminelle Adversaire/Héroïne |
Kitty Pryde |
121 |
Traverse la matière |
Étudiante/Aventurière Héroïne |
Dazzler |
82 |
Transforme le son en lumière |
Chanteuse Héroïne |
Polaris |
82 |
Contrôle le métal |
Aventurière Héroïne/Adversaire/Héroïne |
Rachel Summers |
72 |
Télépathie Télékinésie |
Aventurière Héroïne |
Magik |
70 |
Téléportation |
Étudiante/aventurière Héroïne |
Mystique |
51 |
Changement d’apparence |
Criminelle Cyclique |
Jubilee |
43 |
Rafales de lumière |
Étudiante/aventurière Héroïne |
Callisto |
37 |
Super sens |
Chef de clan/aventurière Adversaire/Héroïne |
Cuckoos |
34 |
Télépathie |
Étudiantes/Aventurières Héroïnes |
Husk |
30 |
Changement d’apparence |
Étudiante/aventurière Héroïne |
Pixie |
29 |
Vol et poudre psychoactive |
Étudiante/aventurière Héroïne |
Tempus |
28 |
Blocage du temps |
Étudiante/aventurière Héroïne |
Hope |
28 |
Imite le pouvoir et le porte au paroxysme |
Étudiante/aventurière Héroïne |
Marrow |
26 |
Fait sortir des os de son corps |
Aventurière Adversaire/Héroïne |
X-23 |
22 |
Deux griffes au poignet, une au pied, facteur guérisseur (feral) |
Étudiante/Aventurière Adversaire/Héroïne |
Tessa/Sage |
21 |
Analyse toutes les données, mémoire visuelle |
Conseillère/aventurière Adversaire/Héroïne |
Stacy X |
16 |
Contrôle des phéromones |
Travailleuse du sexe/aventurière Héroïne |
Karma |
16 |
Télépathie |
Étudiante/aventurière Héroïne |
Boom Boom |
14 |
Crée des bombes explosives |
Aventurière Héroïne |
M |
13 |
Super force vol |
Étudiante/aventurière Héroïne |
Destiny |
13 |
Précognition |
Criminelle Adversaire/Héroïne |
Selene |
12 |
Télépathie |
Criminelle Adversaire |
Mirage |
12 |
Prend l’énergie vitale |
Criminelle Adversaire |
Surge |
10 |
Projette les peurs des autres en images |
Étudiante/aventurière Héroïne |
Frenzy |
10 |
Électricité |
Étudiante/aventurière Héroïne |
Malice |
10 |
Super Force |
Criminelle/aventurière Adversaire/Héroïne |
Wolfsbane |
10 |
Louve-garou (feral) |
Étudiante/aventurière Héroïne |
4.3.2.1 Analyse des pouvoirs
On peut distinguer plusieurs catégories de pouvoirs. Ces catégories ne sont pas mutuellement exclusives. Les mutantes peuvent parfois posséder plusieurs pouvoirs. Ainsi, trois mutantes possèdent télépathie et télékinésie, une autre contrôle la matière inanimée et absorbe l’énergie vitale. On peut distinguer des pouvoirs psychiques, des pouvoirs animaliers, des pouvoirs corporels, des pouvoirs sur la matière ou les éléments, des pouvoirs énergétiques et des pouvoirs dimensionnels. Dans notre échantillon, douze mutantes possèdent des pouvoirs psychiques. Ces pouvoirs sont : la télépathie (7), la télékinésie (3), la possession (1), la précognition (1), l’appropriation de la psyché (1), la projection des peurs (1), l’analyse et la mémoire (1). Ces pouvoirs sont en rapport avec les émotions, le traitement des informations, les capacités à influencer, à manipuler, à posséder, à communiquer et surtout la capacité d’empathie. C’est à la fois un pouvoir sur les autres et un pouvoir de lien entre personnages. La télépathie est souvent utilisée à travers la séduction pour atteindre un but. L’utilisation de la télépathie peut parfois être consentie (partage d’information, but thérapeutique), mais est plutôt souvent imposée à un tiers. L’effet est souvent définitif. Du côté féminin, la télépathie sert un but de manipulation, de séduction, de contrôle temporaire, de tromperie, d’analyse, de communication, de support. Emma Frost est souvent un personnage de support pour Cyclops, lui permettant de communiquer ses ordres à ses équipiers. Deux mutantes ont des pouvoirs animaliers. Les sens de ces mutantes sont exacerbés, en particulier l’ouïe et l’odorat. Leur comportement animal souligne un caractère primal ou sauvage du mutant (feral). L’une d’elles peut prendre une apparence totalement animale ou bien une forme intermédiaire, tel un loup-garou, qui ne semble pas exister chez les mutants masculins, mais bien chez des personnages non mutants. Dix mutantes ont des pouvoirs corporels. Ces pouvoirs sont : l’intangibilité, l’appropriation des pouvoirs par le toucher ou l’imitation des pouvoirs par proximité, la métamorphose, l’hypersensibilité, le changement de la matière constituant la peau, la production d’os surnuméraires, le contrôle des phéromones, la production de substance psychoactive, la super force. Mystique semble la seule métamorphe à pouvoir changer de genre et de sexe. Stacy X contrôle les phéromones pour donner du plaisir sexuel à ses clients ou provoquer l’indisposition chez ses adversaires, à provoquer une réaction physique. Trois mutantes ont des pouvoirs sur la matière ou les éléments. Ces pouvoirs sont : le contrôle de la météo, le contrôle de la matière inanimée et le contrôle du métal et des champs magnétiques. Cinq mutantes ont des pouvoirs énergétiques. Ces pouvoirs sont : la transformation du son en lumière (1), la production de rafales d’énergie ou de plasma explosif (2), l’appropriation de l’énergie vitale, la production d’électricité. On pourrait ajouter Dazzler dans la catégorie des pouvoirs psychiques, car elle utilise son pouvoir pour influencer les émotions, mais c’est un effet secondaire de son pouvoir et non son pouvoir principal. Trois mutantes ont des pouvoirs dimensionnels. Ces pouvoirs sont : la téléportation (2) et le contrôle du temps (Tempus peut voyager dans le temps et créer des bulles dans lesquelles le temps est suspendu). Neuf de ces pouvoirs sont réservés au féminin, puisqu’ils n’ont pas d’équivalents portés par un personnage masculin. Ce sont : l’intangibilité, la transformation du son en lumière, le contrôle du temps, le contrôle de la météo, l’appropriation des capacités et caractéristiques de l’autre, le changement de genre, la précognition, la projection des peurs, l’analyse des données. Par ailleurs, la majorité des pouvoirs se retrouvent chez les deux genres. L’utilisation de ces pouvoirs semble varier selon le genre du personnage, dans sa connotation ou dans son procédé.
4.3.2.2 Les rôles des mutantes
Pour commencer, les 33 mutantes sont catégorisables comme suit : 19 mutantes sont des héroïnes, 3 ont joué des rôles d’adversaire uniquement, 8 sont des adversaires devenues héroïnes, 3 alternent entre les deux rôles à plusieurs reprises. La catégorisation manichéenne entre bien et mal reste une constante forte et les éditeurs de Marvel favorisent des représentations positives et héroïques, ce qui explique le nombre de mutantes héroïnes ou l’étant devenues. Le réalisme des auteurs laisse cependant la possibilité de positionnements plus complexes comme l’alternance entre héroïnes et vilaines. Parmi ces mutantes, 7 femmes sont leaders d’équipe à un moment ou un autre de la série (Storm, Jean Grey, Emma Frost, Mystique, Callisto, Marrow, Malice). Les éditeurs de Marvel ne favorisent donc pas un système prioritairement masculin sur le leadership d’une équipe. Ces mutantes leaders sont généralement des femmes fortes avant même de prendre cette position. Leurs parcours de vie, les évènements qu’elles ont surmontés, ont fortifié leurs corps et leurs esprits, ce qui en fait des personnages qui s’imposent par leurs présences et leurs puissances. Les mutantes peuvent être des victimes, des étudiantes, en position d’apprentissage auprès d’un mentor (Xavier, Cyclops, Emma Frost), des leaders qui dirigent à bon escient leur équipe. Les mutantes sont souvent des composantes indispensables qui résolvent les intrigues et font avancer la narration par leur pouvoir ou leur influence. Les mutantes apportent souvent l’élément décisif pour régler une situation (l’information, l’écoute, le conseil). Elles sont passées d’objet de fantasme et de soutien, à meneuse de l’action et parfois de la narration, pour devenir porteuses de messages et influenceuses. Les évènements vécus par les mutantes montrent en partie la place qui est donnée aux mutantes. Une autre composante de cette place des mutantes que nous allons maintenant présenter correspond aux expressions que prennent les différentes formes d’agentivité.
4.4L’agentivité
4.4.1L’agentivité sociale
Clark opérationnalise l’agentivité sociale comme l’effet des idées suggérées par l’acteur. Ainsi l’idée peut être agie et l’on dira que le personnage est agentif. Ou bien l’idée est ignorée, éliminée, rejetée et le personnage ne sera pas agentif. On a référencé 52 idées suggérées par des mutantes. 38 ont été acceptées, 14 ont été refusées.
4.4.1.1 L’acceptation des idées des mutantes
Tableau 7 : Nombre de mutantes ayant suggéré des idées acceptées et nombre d’idées suggérées acceptées par période de publication
|
1963-1970 |
1975-1983 |
1983-1991 |
1991-2001 |
2001-2008 |
2008-2011 |
2011-2012 |
2013-2015 |
Mutantes suggérant une idée acceptée |
||||||||
|
1 |
5 |
8 |
5 |
2 |
3 |
0 |
2 |
Idées suggérées acceptées |
||||||||
|
2 |
11 |
10 |
6 |
2 |
4 |
0 |
2 |
Nombre moyen d’occurrences par numéro (occurrence/nombre de comics) |
||||||||
|
0,33 |
1,15 |
0,09 |
0,05 |
0,02 |
0,10 |
0 |
0,06 |
On observe dans le tableau 7, un nombre limité de mutantes (16) dont les idées suggérées sont acceptées au cours de la série (37). On observe aussi une augmentation constante de ce nombre entre la première et la troisième période, puis une régression jusqu’en huitième période. La deuxième et la troisième période sont les plus propices à l’agentivité sociale des mutantes. Les formes de suggestions d’idées acceptées sont les propositions de plan ou d’actions (10), l’affirmation de soi (6), la persuasion (6), le conseil (4), la confrontation (3), l’ordre (3), la menace (2), l’étonnement (2), l’incitation au doute (1)[7].
La proposition de plan ou d’action est la suggestion d’idées la plus fréquemment acceptée. Elle consiste en la présentation d’une stratégie ou d’une suite d’actes, voire d’une seule action. Par exemple, Rogue convainc une armée d’espions : « Rogue speaks with an eloquence to match her passion, and to my surprise Fury and his cohorts listen. » (#274)[8]. L’affirmation de soi correspond à l’expression assertive de ses idées propres pour les faire respecter. Ainsi, Emma Frost affirme sa confiance en ses capacités à ses équipiers du Club des Damnés : « I think I can … persuade her father to enroll her in my Massachusetts academy. After all, it is one of the most prestigious private schools in the country. » (#130). La persuasion est l’utilisation d’arguments pour convaincre l’autre. Callisto convainc Storm d’assumer sa position, d’être forte pour les autres et d’accepter de s’allier avec des ennemis mortels pour la survie du plus grand nombre : « Face facts. Wind-rider --The X-men need help! You can’t go on alone… especially against the marauders. If I can stomach joining up with you, you can with Hellfire » (# 213). Le conseil est une autre forme de suggestion d’idée plus discrète, mettant les connaissances à disposition d’autrui et proposant des recommandations. Storm conseille à Emma Frost d’agir en leader et de passer à l’action « Scott’s closed me out and I feel like a girlfriend ans not his partner. – Then act like it. (…) If you would truly be a queen -- if you would truly be a leader -- then, lead, Emma Frost » (# 505). La confrontation est l’affirmation d’un désaccord. Jean Grey tient tête à Wolverine pour ne pas abandonner le Professeur Xavier : « Okay group. Time’s a wastin’. Let’s get outta here while we got a chance. - Not without Professor X. (…) -You got a better idea --? Look he’s crippled and inconscious -- how’re we gonna carry him an’ fight, huh?! –-We find a way, Wolverine. Is that clear? » (#98). Les ordres sont fréquents puisque l’équipe des X-men est une équipe de terrain avec mentor et leader. Les mutantes leaders ou faisant office de, sont les seules utiliser des ordres. Kitty Pryde interdit à Wolverine d’utiliser ses griffes : « No claws, Wolvie -- Morlocks and X-men are friends! » (#195). La menace consiste en la promesse d’un danger si un résultat n’est pas obtenu. La menace est employée pour être sûr de faire accepter une idée. Tempus utilise aussi la menace pour s’assurer que Cyclops change de comportement : « Now I will watching you. And man, if you dont’t screw your head on all the way straight I am going to go back in time and make sure your parents never meet. » (vol 3 # 31). Le questionnement interroge le bienfondé d’une situation. Kitty Pryde demande la motivation des X-men à s’attaquer aux Morlocks : « Did you ever consider asking if I wanted to be rescued?! Or is this just a convenient excuse … to bash in some skulls?! » (#179). L’incitation au doute est la suggestion d’alternatives différentes et l’affaiblissement de la confiance. Jean Grey se débarrasse de Blob en l’incitant au doute, le mutant perçoit la véracité de la situation : « Do you really think the mutant-master would take a chance on your capture --and on others learning of his plan? He must have made that time bomb strong enough to destroy you! – You lie! He’s our master --our leader! Still, you got a point there! No use in takin’ any chance » (# 39)
4.4.1.2 La non-acceptation des idées suggérées par les mutantes
Tableau 8 : Nombre de mutantes ayant suggéré une idée refusée et nombre d’idées suggérées refusées selon la période de publication.
|
1963-1970 |
1975-1983 |
1983-1991 |
1991-2001 |
2001-2008 |
2008-2011 |
2011-2012 |
2013-2015 |
Mutantes suggérant une idée refusée |
||||||||
|
1 |
3 |
4 |
2 |
0 |
1 |
0 |
1 |
Idées suggérées refusées |
||||||||
|
4 |
4 |
3 |
1 |
0 |
1 |
0 |
1 |
Nombre moyen d’occurrences par numéro |
||||||||
|
0,06 |
0,05 |
0,03 |
0,01 |
0 |
0,02 |
0 |
0,03 |
On observe un nombre limité de mutantes (10) dont les idées suggérées sont refusées au cours de la série (14). On observe la même augmentation constante de ce nombre entre la première et la troisième période, puis une régression jusqu’en huitième période. La deuxième et la troisième période sont les plus propices à la non-agentivité sociale des mutantes. Le refus des idées suggérées par des mutantes prend les formes suivantes : le dénigrement (3), l’ignorance (4), l’incrédulité (2), le rejet (2), la mise en doute (2).
L’ignorance est la manière la plus fréquente de refuser une idée suggérée. Ce refus s’exprime par le silence ou la non-prise en compte de ce qui est dit. Lorsque Jean Grey souhaite se rapprocher de Cyclops dont elle est amoureuse, c’est Angel qui la soulève pour l’emmener en voiture (# 3). Le dénigrement est l’atteinte à la personne par la critique, la minimisation ou la décrédibilisation. Storm est critiquée par Wolverine pour sa délicatesse parce qu’elle l’a empêché d’utiliser ses griffes : « If you hadn’t chosen such a stupid moment ta get squeamish, Lady, we wouldn’t be in this mess in the first place! » (#142)[9]. L’incrédulité est l’impossibilité de croire en une idée suggérée. Lorsque Destiny interprète le départ de Rogue comme volontaire, Mystique ne peut l’accepter : « -Suppose Rogue left of her own free will? You know how troubled she’s been late. - No ! I don’t believe it » (# 177). Le rejet des idées est le refus, verbal ou physique, de l’expression d’une pensée. Lorsque Jean Grey souhaite que le professeur Xavier partage ses informations, il refuse et en appelle à sa confiance en lui : « No, Jean ! You’ll have to trust my judgement! The other X-men must know nothing of … that matter! » (#41). La mise en doute remet en question la confiance que les personnages peuvent avoir par rapport à l’idée suggérée. Le jugement de Storm est mis en doute par Cyclops : « Nightcrawler is waving, signaling all clear. – Are you sure, Storm? – If I were not, I would have kept silence » (# 118). L’agentivité sociale semble un sujet intéressant à traiter pour les auteurs de la deuxième et de la troisième période, puisque c’est là qu’on observe le plus d’idées suggérées. Les auteurs semblent aussi faire le choix de représenter des mutantes dont les idées sont plus souvent acceptées que refusées.
4.4.2L’agentivité d’indépendance
Selon Clark et Jacobs (2016; 2018), l’agentivité d’indépendance correspond à l’expression de prise de décision et de passage à l’action sans un accord préalable ou une acceptation.
4.4.2.1. Les actions indépendantes
Tableau 8 : Nombre de mutantes agissant de manière indépendante et nombre d’actions indépendantes selon la période de publication
|
1963-1970 |
1975-1983 |
1983-1991 |
1991-2001 |
2001-2008 |
2008-2011 |
2011-2012 |
2013-2015 |
Mutantes indépendantes |
||||||||
|
1 |
4 |
4 |
0 |
2 |
4 |
0 |
7 |
Actions indépendantes |
||||||||
|
2 |
20 |
8 |
0 |
4 |
7 |
0 |
11 |
Nombre moyen d’occurrences par numéro |
||||||||
|
0,03 |
0,27 |
0,07 |
0 |
0,04 |
0,16 |
0 |
0,31 |
On observe un nombre moyen de mutantes (17) qui opèrent de nombreuses actions indépendantes au cours de la série (53). L’évolution du nombre d’actions indépendantes est irrégulière. La deuxième et la huitième période sont les plus propices à la représentation d’actions indépendantes des mutantes. Ces actions indépendantes prennent les formes suivantes : l’initiative (15 occurrences), le choix stratégique (6), le don de soi (4), la non-divulgation d’informations (4), le refus de l’autorité (4), le maintien de statuts antérieurs (4), la transgression de l’interdit (4), la séparation ou l’individualisation (3), l’initiation d’un combat (2), l’appropriation de l’énergie de l’autre (1), la divulgation d’information (2), le devancement des besoins des autres (2), l’épanouissement/développement personnel (1), l’aide (1).
L’initiative est le fait de lancer une action sans concertation ou de proposer une solution à un problème posé. Par exemple, Kitty Pryde suit les X-men en mission sans les prévenir (# 149). Le choix stratégique est une action planifiée ou adaptée à la situation. Kitty Pryde conçoit un plan qu’elle applique contre l’avis de Cyclops : « Kitty, we heard what you intend. I won’t allow it! It’s too dangerous! – That’s crazy, Scott. I’m the only one for whom it isn’t dangerous » (# 164). Le don de soi relève du sacrifice et consiste en un acte altruiste impliquant son intégrité personnelle. Jean Grey se sacrifie pour sauver ses équipiers en conduisant seule une navette sans vitre protectrice (# 102). La non-divulgation volontaire d’informations est un acte indépendant en soi. Kitty Pryde ne partage pas ses soupçons quant à l’agresseur de Storm (# 159). Le refus de l’autorité est l’action indépendante agie lorsqu’un tiers d’autorité interdit ou impose un acte. Hope Summers se positionne relativement à la figure parentale qui l’a élevée comme un soldat, Cable. La mutante exprime ne plus vouloir l’écouter « I’m not done yelling at you, Hope. – Yeah, well. Maybe, I’m done listening to you » (# 523). Le maintien de statuts antérieurs est la conservation de liens, de titres ou de pratiques. Lorsque des membres sont intégrés aux X-men, il est attendu d’eux un renoncement aux pratiques hors-normes et aux liens avec des adversaires. La mutante prostituée Stacy X continue à rencontrer des clients tout en participant à des missions des X-men, (#401, #405, #408). La transgression de l’interdit est la réalisation d’un acte prohibé. Hope transgresse l’interdit de parler à Magneto lorsque Cable, son père adoptif le lui interdit : « Who are you? And why doesn’t Cable want me to talk to you? » (#524). La séparation/individualisation est une action visant à prendre de la distance ou à devenir autonome. Jean Grey est le seul personnage à mener des études ailleurs qu’à l’école Xavier (# 24-34). Elle loge sur le campus de l’université et rejoint les X-men au besoin, ce qui en fait l’un des seuls personnages susceptibles d’accéder à un métier et de vivre indépendamment des X-men. L’initiation d’un combat correspond au lancement des hostilités par une mutante. Storm s’attaque à Juggernaut : « You speak of Power, Juggernaut! Behold --as Storm teaches you the meaning of the word! » (#103). L’appropriation de l’énergie de l’autre est le choix d’absorber la force vitale ou les pouvoirs sans accord de l’autre. Rachel Summers prend de force l’énergie de Storm : « If you won’t give freely of your soulforce, Ororo …I’ll simply take what I need » (# 203). La divulgation d’information vise une protection d’un tiers sans son accord. Pixie, préoccupée, fera part de ses inquiétudes à Emma Frost, concernant la santé de sa nouvelle colocataire de chambre, X-23 et du sang présent sur ses serviettes de bain (# 505). Le devancement des besoins des autres est une forme de manipulation qui piège des personnages qui trouvent a posteriori une satisfaction de leurs besoins inconscients. Magik est consciente avant ses équipiers de la nécessité du déroulement d’évènements pour clore des tensions. Sans les consulter au préalable, la mutante n’hésite donc pas à précipiter l’affrontement entre Kitty Pryde et Cyclops, à la suite du décès du Professeur Xavier, pour qu’ils dépassent leurs haines et leurs hontes : « It had to happen. We need to move past this. » (vol 3 # 18). L’épanouissement/développement personnel prend ici le sens du choix d’avancer dans sa vie et pour cela de s’adresser à quelqu’un pour recevoir une aide adaptée. Magik s’autorise à grandir et devenir maitresse de son destin « It was time for me to grow up. It was time for me to take responsability for who I am » (vol 3 # 5). L’aide vise ici un acte de soutien sans concertation. Jean Grey dans ses débuts décide d’utiliser son pouvoir pour « libérer » Angel de ses fans féminines : « Well, it’s look like the high- flying Angel can use a little help from earth-bound Marvel Girl » (# 2).
4.4.2.2. Freins à l’indépendance des mutantes
Tableau : Nombre de mutantes empêchées d’agir de manière indépendante et nombre de situations empêchant l’indépendance selon la période de publication
|
1963-1970 |
1975-1983 |
1983-1991 |
1991-2001 |
2001-2008 |
2008-2011 |
2011-2012 |
2013-2015 |
Mutantes empêchées d’agir de manière indépendante |
||||||||
|
1 |
3 |
9 |
1 |
3 |
4 |
1 |
2 |
Situations empêchant l’indépendance |
||||||||
|
1 |
7 |
24 |
1 |
4 |
4 |
2 |
2 |
Nombre moyen d’occurrences par numéro |
||||||||
|
0,15 |
0,09 |
0,21 |
0,01 |
0,04 |
0,09 |
0,1 |
0,06 |
On observe un nombre moyen de mutantes (19) qui vivent de nombreuses situations où elles ne sont pas indépendantes (53) au cours de la série. L’évolution du nombre de situations empêchant l’action indépendante suit une courbe en cloche avec un pic en troisième période. Les années 1980 sont donc une période où les mutantes sont les moins indépendantes. La première période, la septième période et la huitième période sont les périodes où les mutantes vivent le moins de situations empêchant l’indépendance. Les situations empêchant l’indépendance prennent les formes suivantes : la dépendance de l’autre (22), les manipulations, hypnoses, contrôles et possessions (16), l’utilisation (4), la dépendance à un concept (4), l’interdépendance aux X-men (2), les deuils et traumatismes (2), l’adaptation culturelle (2).
La dépendance de l’autre est la forme de situation empêchant l’indépendance la plus fréquente. On y retrouve la dépendance émotionnelle et le rapport de supériorité et de commandement. Kitty Pryde dépend affectivement de ses parents : « They’re my folks, Ororo! If they didn’t love each other, why’d they get married, why’d they have me?! If I can’t depend on that reality -- what can I depend on?! » (#151). Les mutantes trop jeunes et inexpérimentées ne peuvent partir en mission comme les X-men « The New mutants are not X-men, nor are they meant to be. They are students. They do not go on mission (…) I will not place these children at risk, Storm and that is final » (# 169). Les manipulations, hypnoses, contrôles et possessions sont une autre grande catégorie. Elles correspondent à une perte de libre arbitre et représentent des outils narratifs de choix. Polaris est hypnotisée et manipulée à plusieurs reprises (# 52, # 97-105). L’utilisation met en scène des mutantes qui sont mises au rang d’objets pour servir d’autres buts que les leurs. X-23 a été créée, élevée et endoctrinée pour servir d’arme contre Wolverine : « she was buil to be a killer. And trained specifically to battle Weapon X » (451). La dépendance à un concept correspond à la perte de son indépendance pour satisfaire à un besoin ou une idée. Dazzler semble aussi dépendante de la célébrité et d’un public : « Do you still yearn so desperately for the spotlight, Alison? » (#214). « The appplause and cheers act like a drug … casting her soul to the stars. They like me, they really like me. (…) You’ve no idea … how much this means to me. » (#224). L’interdépendance aux X-men correspond aux liens à double sens créés par une mutante avec les X-men. Dazzler a du mal à trouver sa place au sein des X-men puisqu’elle n’a pas choisi de se joindre à eux : « I hate the X-men … almost as much as I need them » (# 217). Les deuils et traumatismes sont des situations rendant les mutantes vulnérables. Mystique, traumatisée par le décès de Destiny nécessite une surveillance par l’X-man Forge : « According to your file, you have not been the same -- since the death of a woman under your command (…) Can’t you see the poor woman needs help? Mystique is losing her sanity --her identity --her identity --a little more each day, » (# 290). L’adaptation culturelle est une nécessité de demander l’avis de personnages issus du groupe culturel d’arrivée. Storm, venant d’une culture non occidentale, se montre toujours intéressée par les retours de ses équipiers ce qui la rend moins indépendante sur son apparence : « Tell me, Kurt --am I pretty? » (#101).
4.4.3L’agentivité de pouvoir
L’étude de l’agentivité de pouvoir se fera à travers la possibilité d’agir en décidant d’utiliser ou non son pouvoir et l’empêchement d’agir en utilisant son pouvoir. Avant cela, il importe de présenter succinctement la manière dont les pouvoirs sont représentés et de poser la question de qui contrôle l’utilisation des pouvoirs.
4.4.3.1. Le contrôle de l’utilisation du pouvoir
Les mutantes dotées de pouvoir peuvent soit utiliser volontairement leurs pouvoirs, soit obéir à un ordre ou un conseil. La majorité des mutantes utilisent leurs pouvoirs comme bon leur semble, mais on observe aussi des situations où c’est un mentor ou un leader qui dispose de l’utilisation du pouvoir. Durant la première période, Jean Grey obéit aux conseils et ordres du Professeur Xavier ou de Cyclops, quand le précédent est absent. Par la suite, il est exceptionnel que ce soit le Professeur Xavier qui contrôle l’utilisation des pouvoirs. Le Professeur Xavier reste cependant une autorité à laquelle les mutantes se référent quand elles transgressent une limite. Par exemple, Jean Grey manipule la pensée en connaissant la désapprobation de Cyclops et du Professeur Xavier : « I know you don’t approve of me - - or the professor - - using our psi-powers like this, Scott… » (#131). Le Professeur Xavier n’est pas le seul à montrer ce genre de comportement d’utilisation de pouvoir par procuration et d’autres leaders d’équipe agissent de manière analogue, ordonnant l’utilisation de pouvoirs sous leur égide. Les mutantes sont donc soit en autonomie par rapport à leur pouvoir soit en dépendance d’un mentor qui saurait mieux qu’elles quand ou comment utiliser leurs pouvoirs. La première et la dernière période présenteraient des mutantes moins autonomes dans l’utilisation de leurs pouvoirs.
4.4.3.2 L’utilisation du pouvoir
L’utilisation des pouvoirs n’est par recensée. Très fréquente dans les comics de superhéros, c’est la source même des histoires. Durant les scènes d’affrontement dans la série X-men, l’utilisation du pouvoir est rarement questionnée et souvent nécessaire. Le pouvoir est aussi utilisé dans des circonstances du quotidien comme facilitateur. On note aussi de rares situations (8) où les mutantes décident sciemment de ne pas utiliser leurs pouvoirs pour éviter des conséquences négatives (divulgation de l’identité, déformation corporelle, perte de contrôle de soi). L’agentivité de pouvoir des mutantes est donc constante et importante sur les huit périodes.
4.4.3.3. Réduction de la capacité à utiliser son pouvoir
Tableau 11 : Nombre de mutantes dont la capacité à utiliser son pouvoir est réduite et nombre de situations où la capacité d’utiliser son pouvoir est réduite selon la période
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1963-1970 |
1975-1983 |
1983-1991 |
1991-2001 |
2001-2008 |
2008-2011 |
2011-2012 |
2013-2015 |
Mutantes dont la capacité d’utilisation du pouvoir est réduite |
||||||||
|
2 |
5 |
9 |
6 |
2 |
4 |
3 |
3 |
Situation de réduction de capacité d’utilisation du pouvoir |
||||||||
|
6 |
10 |
28 |
10 |
2 |
1 |
3 |
3 |
Nombre moyen d’occurrences par comics |
||||||||
|
0,09 |
0,13 |
0,24 |
0,09 |
0,02 |
0.23 |
0,15 |
0,08 |
L’observation nous montre un nombre moyen de mutantes (18) affrontant un nombre important de situations où la capacité d’utiliser leurs pouvoirs est amoindrie (69). La troisième période est particulièrement propice à la réduction de capacité d’utilisation, de nombreux obstacles narratifs venant limiter l’utilisation du pouvoir. Les formes que prend cette réduction sont la dépossession de pouvoir (13 occurrences), la non-maîtrise (12), la perte de maîtrise (10), la vulnérabilité (9), la minimisation ou la déconsidération (8), la limitation (6), l’emprisonnement dans une forme (4), la méconnaissance du pouvoir (3), la contrainte (2), l’angoisse de perte de contrôle de soi (1) et la parade (1).
La dépossession est l’absence de pouvoir causée par un évènement extérieur. Huit mutantes sont dépossédées de leurs pouvoirs, certaines à plusieurs reprises comme Rogue (# 195, #236, #274). La non-maîtrise correspond à une absence initiale de contrôle des pouvoirs. Jean Grey devenue Phoenix, ressens ses pouvoirs comme une drogue et sent qu’ils la dépassent : « My power --it’s hitting me like a drug. I’ve never felt such … ecstasy! » (#105). La perte de maîtrise correspond à une absence de contrôle du pouvoir ayant existé par le passé. Rachel Summers, débordée par ses émotions utilise sa télékinésie de manière chaotique (# 206, # 207). La vulnérabilité est l’expression d’un point faible ou d’une faiblesse. Jean Grey doute fréquemment de ses capacités : « I only hope they’re strong enough to reach that dozing guard over there… » (#39). La minimisation ou la déconsidération sont des attitudes qui visent à inférioriser le pouvoir d’une mutante. Jubilee devine que son pouvoir est considéré comme inférieur par rapport à celui de sa coéquipière Husk : « Are you sending me because you think my powers are wimpier than yours? – Yes. – Okay, just clarifying. (#427). La limitation des pouvoirs considère les situations qui confinent l’utilisation d’un pouvoir. La mutante Jean Grey est limitée dans ses capacités : elle ne peut pas soulever de charges trop lourdes, elle ne peut bouger que ce qu’elle voit (jusqu’à l’épisode #16) et cela lui demande beaucoup de concentration et d’énergie.
L’emprisonnement dans une forme correspond aux situations où une mutante n’a pas le choix de prendre une autre forme que celle exprimant son pouvoir. Kitty Pryde, blessée dans un combat reste coincée dans une forme intangible (# 211-215). La méconnaissance du pouvoir vise des situations où les mutantes ignorent les modalités de l’utilisation de leurs pouvoirs. Rogue ne connait pas la portée de son pouvoir : « Ah didnt’t know the full extent o’ my powers » (# 182). La contrainte par un tiers est le fait d’obliger un personnage à utiliser son pouvoir. Rogue est forcées à utiliser leurs pouvoirs sans consentement (# 350). L’angoisse de perte de contrôle de soi est l’affect ressenti par Rogue lorsqu’elle semble ne plus contrôler son comportement et faire abstraction de son pouvoir « What’m ah doing? The professor’s always taught us that we are special an’ worty, But ah’m losing control. Ah kissed Gambit, touched Wolvie, gave Joseph mouth-to-mouth. » (#355). La parade à un pouvoir est la limitation d’un pouvoir par l’utilisation d’un artifice. Karma ne peut pas se servir de son pouvoir télépathique, puisque les masques portés par le culte des Damnés bloquent la télépathie (# 502).
4.4.4L’agentivité sexuelle
L’agentivité sexuelle sera observée à travers deux contenus : la capacité d’agir sexuellement et l’atteinte de l’agentivité sexuelle.
4.4.4.1La capacité d’agir sexuellement
Tableau 12 : Nombre de mutantes agissant sexuellement et nombre d’actions sexuelles selon la période
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1963-1970 |
1975-1983 |
1983-1991 |
1991-2001 |
2001-2008 |
2008-2011 |
2011-2012 |
2013-2015 |
Mutantes |
||||||||
|
1 |
3 |
8 |
6 |
10 |
6 |
1 |
3 |
Capacité d’agir sexuellement |
||||||||
|
4 |
12 |
25 |
14 |
32 |
6 |
2 |
5 |
Nombre moyen d’occurrences par comics |
||||||||
|
0,06 |
0,16 |
0,22 |
0,12 |
0,30 |
0,14 |
0,10 |
0,14 |
On observe un nombre important de mutantes (24) qui procurent un nombre important (100) de situations où l’agentivité sexuelle s’exprime au cours de la série. L’évolution du nombre de situations avec expression d’agentivité sexuelle suit globalement une courbe en double cloche avec pour piques la troisième et la cinquième période (Graphique 1). Les années 1980 et les années 2000 sont donc des périodes où les mutantes présentent le plus d’agentivité sexuelle. Ces expressions d’agentivité sexuelles prennent plusieurs formes : les baisers (35), l’expression du désir (26), l’initiation de rapprochement (10), la maîtrise de sa propre sexualité (6), les relations sexuelles (6), le renversement de l’objectification (5), l’appréciation du désir de l’autre (5), l’utilisation du pouvoir sexuellement (2).
Les baisers regroupent les baisers initiés par une mutante et les baisers consentis impliquant une mutante. Jean Grey embrasse pour la première fois Cyclops : « Can’t you just this once give it a rest … and kiss me. (…) Don’t you hear me, you big lug – I said … Kiss me ! » (#94). L’expression du désir recouvre les contenus d’attirance, d’excitation et d’intérêt sexuels. Husk parle de son attirance pour Angel à différents interlocuteurs et de son désir sexuel pour lui : « He thinks I’m still in love with the guy and he’s “trying to give me space”. Idiot. I don’t want space, I want to get naked with him. » (#427). L’initiation de rapprochement par une mutante est la recherche active et volontaire d’une proximité avec un partenaire. Kitty Pryde s’isole avec Colossus (# 174) et l’embrasse. La maîtrise de sa propre sexualité s’exprime par des expressions de la conscience et de la connaissance de sa propre sexualité et par des refus assertifs de tentatives de séduction. Stacy X véhicule une image de sa sexualité et de son désir sans culpabilité : « And I didn’t do anything wrong when I tried to kiss you, either. I just wanted to show you my gratitude for saving my life. » (#414). Les relations sexuelles sont rares, même avec la disparition du Comic Code Authority. Une relation sexuelle est suggérée entre Cyclops et Jean Grey (# 132). Jean Grey invite Cyclops à un moment d’intimité, prépare un drap apparemment pour un pique-nique tout en transformant ses vêtements en sous-vêtements et l’attire à elle pour mieux l’embrasser. Plus tard, un numéro (# 133) s’attarde sur cette scène et nous confirme son caractère sexuel, en représentant les deux personnages, torses nus. Jean Grey initie ensuite un lien télépathique entre les deux mutants, plus intime encore que la sexualité. Les renversements de l’objectification sont les stratégies qui visent à perturber l’objectification classique de la femme par l’homme : l’utilisation de l’objectification, le détournement et la punition. Certaines mutantes utilisent l’objectification. Stacy X sait quel effet la situation de prostitution peut avoir sur le désir masculin et l’utilise pour manipuler ses clients (# 399). Stacy X détourne l’objectification pour attirer ses adversaires à sa proximité en utilisant la sexualisation de sa communication verbale (# 400). Le renversement de l’objectification prend aussi la forme de l’inversion du rapport d’objectification. Ainsi, lorsque les mutantes Dazzler et Pixie, tombent sur Cyclops torse nu (# 509), les deux mutantes réagissent sur un mode sexualisant et se concentrent sur le torse de Cyclops et les implications de sa nudité. La punition de l’objectification est la dernière stratégie de renversement de l’objectification. Lorsque le mutant Triage tente une approche des Cuckoos, elles lui font oublier son prénom et le menacent s’il a de nouveau les mêmes pensées, de lui faire oublier de quel sexe il est (vol 3 # 5). Ainsi, elles se défendent d’une pensée d’objectification, liée à leur statut de triplées identiques. Elles menacent le personnage masculin d’émasculation psychique, inversant le rapport entre les sexes. L’appréciation du désir de l’autre correspond aux marques d’intérêt suscité par le regard ou la pensée du regard d’un tiers. Husk pense à la condition de nudité qu’entraine son pouvoir et à ce qu’implique le regard d’un autre auquel elle consentirait : « Of course --in some cases --I might not mind being seen. Too bad you slept through it all, Mister Archangel --Warren Worthington the Third. Who knows where it might have led? » (#420). L’utilisation du pouvoir sexuellement est rarement présente. C’est Stacy X qui instaure cette forme d’utilisation du pouvoir. La mutante contrôlant les phéromones peut satisfaire sexuellement une personne par simple toucher (394). Mystique bénéficie des uniques représentations explicites de relations sexuelles. La mutante utilise son pouvoir pour avoir des relations sexuelles avec plusieurs partenaires différents (428).
4.4.4.2. Les freins à l’agentivité sexuelle
Tableau 13 : Nombre de mutantes dont l’agentivité sexuelle est freinée et nombre de situations de réduction de l’agentivité sexuelle selon la période
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1963-1970 |
1975-1983 |
1983-1991 |
1991-2001 |
2001-2008 |
2008-2011 |
2011-2012 |
2013-2015 |
Mutantes |
||||||||
|
1 |
5 |
15 |
5 |
6 |
3 |
1 |
3 |
Réduction de l’agentivité sexuelle |
||||||||
|
5 |
27 |
40 |
14 |
20 |
6 |
2 |
4 |
Nombre moyen d’occurrences par comics |
||||||||
|
0,07 |
0,36 |
0,35 |
0,12 |
0,19 |
0,14 |
0,1 |
0,11 |
On observe un nombre moyen de mutantes (18) dont l’agentivité sexuelle est atteinte (93) au cours de la série. L’évolution du nombre d’altérations suit une courbe non régulière avec un sommet durant les années 1980 (Graphique 2). Les années 1980 sont donc une période où les mutantes sont touchées le plus par des atteintes de l’agentivité sexuelle. Ces atteintes prennent deux formes principales : l’objectification par les créateurs (90) et les réductions d’agentivité par l’environnement (26).
L’objectification passe par différents canaux : la représentation graphique, la nudité (35), le costume (29), la sexualisation narrative (11), le double sens (10), l’objectification par regard interposé d’un personnage (5), la présentation du personnage (3). L’objectification par la représentation graphique est présente constamment durant toute la série. Les formes féminines reflètent les idéaux sociaux et les auteurs n’hésitent pas à présenter les mutantes dénudées pour accentuer cet effet aussitôt que la censure s’estompe. Le phénomène s’aggrave avec le temps à travers le gonflement des proportions des mutantes, mais aussi de tous les personnages féminins. La période marquant un changement dans l’objectification est la troisième période avec les dessinateurs Marc Silvestri en 1987 et Jim Lee en 1990 qui servent particulièrement les lignes féminines. Le phénomène s’installe avec les brokeback poses (Darowski, 2014), qui représente des personnages contorsionnés pour pouvoir montrer à la fois poitrine et fesses et dont les proportions sont parfaites, mais impossibles. Ces représentations perdurent ensuite. Les mutantes deviennent des objets de fantasmes sexuels et leurs succès ne dépendent pas que de leurs caractères, mais bien aussi (plutôt) de leurs plastiques. Les mensurations des mutantes, plus qu’idéales puisqu’irréalisables, deviennent un modèle classique de représentation et une norme du genre super-héroïque qui perdure aujourd’hui encore dans les séries actuelles de mutants. L’objectification s’exprime aussi par des compositions de cases mettant en avant les personnages féminins et en valeur leur poitrine (vol 2 # 12). La sexualisation par le costume correspond à toutes les situations où les mutantes sont présentées dénudées ou dans des vêtements qui suggèrent une représentation érotique s’approchant de la nudité. On citera le costume de Psylocke comme montrant le plus de peau (# 256), les scènes en maillots de bain (# 109, # 270) et les tenues fétichistes du Club des Damnés (#131, #132, #189). L’objectification par la nudité recouvre toutes les scènes présentant ou suggérant un personnage nu. Cette objectification confond parfois le regard d’un personnage avec celui du lecteur. Mais le plus souvent, cette objectification implique le lecteur comme un voyeur. Le personnage de Storm est particulièrement concerné. Storm, afro-américaine, est porteuse d’exotisme et de nature primitive. Cette construction du personnage facilite les occasions de la montrer nue. Les auteurs vont même expliquer le fait dans l’épisode #109 en faisant exprimer Storm sur le sujet
« I wish I didn’t have to wear these absurd scraps of cloth. – You remember what happened when you went, uh, swimming in the mansion’s pool? – I remember my friend. I will never understand. It is only for the professor’s sake that I endure this land’s strange taboos ».
L’origine culturelle de la nudité banalisée devient donc prétexte légitimé pour représenter Storm nue. La nudité de Storm est naturelle pour elle, mais projetée sur la case, elle est plutôt donnée en pâture aux lecteurs. Dès son introduction dans la série, la nudité est perceptible (Giant Size X-men#1) puis tout prétexte sera bon, par exemple des scènes de douches (# 101, #109, #160, #245). La sexualisation par double sens est un choix narratif qui lie une remarque à un contenu sexuel. Emma attachée en croix par Iceman laisse entendre qu’elle pratique ou a pratiqué le sadomasochisme de manière tarifée : « If this is supposed to intimidate me, it’s not working. To be honest, I used to pay good money to -- » (# 331). La sexualisation par choix narratifs recouvre les situations où les personnages sont sexualisés par des comportements ou des évènements. Emma Frost conserve les trois X-men qu’elle a capturé : Colossus, Wolverine et Storm en sous-vêtements dans des cages (# 131). Les deux mutants et la mutante sont mis en scène de manière sexualisante par l’intermédiaire d’Emma Frost. L’objectification par regard interposé d’un personnage correspond aux situations où un personnage observe une mutante et où le lecteur peut s’identifier au personnage en question. Jean Grey est l’objet de l’intérêt sexuel des X-men qui l’admire lorsqu’elle porte pour la première fois son costume « Wowee! Looh like she was poured into that uniform! » (#1). L’objectification par la manière de présenter les personnages est une stratégie visant à objectifier un personnage dès son introduction. Régulièrement dans la série, pour faciliter l’accès à de nouveaux lecteurs, on décrit succinctement les personnages. Ainsi Emma Frost est décrite comme une belle femme dominante télépathe, une « psychic Supervixen » (# 501), une « Telepath. Regal » (# 508).
Dans la partie suivante, nous nous intéressons aux limitations d’agentivité créées par l’environnement des mutantes. Il s’agit des intimités imposées (13 occurrences), des agressions à caractère sexuel (8) et de la critique de la sexualité des mutantes (4). Les intimités imposées regroupent les baisers et rapprochements volés, imposés ou obtenus par surprise. Une fois accédée au statut de reine noire au Club des Damnés, Jean Grey, manipulée, reçoit des preuves d’admiration. On note particulièrement une promiscuité d’Harry Leland qui lui caresse la joue en la flattant : « You’re far more vivacious and exciting, than your predecessor, the white queen. I like that » (# 132). Les agressions à caractère sexuel sont des situations évocatrices ou explicites, porteuses d’un contenu sexuel même symbolique. Kitty Pryde subit les assauts d’un double maléfique de Nightcrawler, qui se justifie par l’affection de la mutante pour lui et ses désirs sexuels émergents : « Kurt -- ? How d-dare you t-touch me like that! Who do you think you are?! What … what kind of person d’you think I am?!- Leibling, you sound so shocked. Didn’t you just say…you were glad to see me ? I was merely giving an opportunity to prove it.(…) -This isn’t real! – Then you have nothing to fear … but your own desires. » (#160). La critique de la sexualité est composée de situations où les comportements sexuels des mutantes sont déconsidérés. Stacy X voit son activité de prostitution méprisée par la mutante M qui considère qu’elle n’est pas une X-men légitime : « We X-men ? We ? There is no we here, Stacy X. There is the X-men … and then there is a mutant prostitute hitching a ride. (…) Hey, Princess. Men pay money to be with me. When men sleep with you --they’re only aroused by daddy’s wallet. » (#410).
CHAPITRE VI
DISCUSSION
Dans cette section, nous allons commencer par expliquer nos résultats. Puis nous les mettrons en lien avec notre état des connaissances et notre cadre conceptuel. Ensuite, nous présenterons les limites de notre travail. Enfin, nous proposerons des pistes de recherches et pour finir nous ouvrirons notre sujet à des applications concrètes.
4.5Interprétation des résultats
La section présente vise à répondre à nos objectifs : portrait statistique de la parité, portraits de l’agentivité et de l’agentivité sexuelle et par là même à questionner le statut de Marvel comme progressiste ou non. Si l’éditeur Marvel se montre précurseur à plusieurs périodes, il n’en reste pas moins complice et utilisateur de l’objectification. Au vu de nos résultats, il nous faudrait donc dire que l’éditeur a des périodes progressistes et des périodes conservatrices, qu’il faudrait certainement mettre en lien avec les créateurs et l’équipe d’édition. Pour Gabilliet (2005), le progressisme de Marvel se plaçait au niveau des thèmes sociaux abordés. Pour Darowski (2014), il faut trouver le progressisme dans les représentations féminines non traditionnelles qui émergent dans les années 1970 et fleurissent durant les années 1980-1990. Afin d’organiser notre propos, nous suivrons l’ordre chronologique de nos périodes.
4.5.1Discussion des résultats par périodes
1963-1970 L’absence des mutantes, reflet d’une société traditionnelle
Durant cette période, Marvel se contente d’être le miroir des rôles sexuels/de genre traditionnel. Aucune parité n’est observable, puisque seules deux mutantes traversent la série. Les comics sont initialement destinés à un public masculin et proposent par conséquent des possibilités d’identification plus évidente, à travers de nombreux personnages masculins. En outre, les comics sont très genrés durant cette période avec des comics pour les garçons et des comics pour les filles. Peu d’idées sont suggérées par les mutantes et encore moins d’idées sont acceptées, les actions indépendantes sont elles aussi très rares. Contrairement à l’idée de Darowski (2014), les personnages féminins exercent peu d’action indépendante durant les années 1960. Ils expriment par contre un sentiment et une revendication d’indépendance. L’utilisation du pouvoir est limitée. L’agentivité sexuelle est réduite à l’initiation de rapprochements, l’objectification est déjà présente. Comparables aux représentations de la mystique féminine dénoncée par Betty Friedan (2010) les personnages féminins paraissent effacés, faibles et contraints à l’espace domestique ou de service. Marvel ne met pas en avant des représentations progressives en lien avec l’idéologie du genre. En effet, nous ne pouvons pas affirmer le caractère féministe ou novateur des représentations.
1975-1983 Le début de la diversité
Les mutantes deviennent plus nombreuses et leurs apparitions augmentent franchement tout en restant très éloignées d’une parité. Cette période correspond à l’âge de bronze de Cocca (2016) et au relancement de la série, basée notamment sur la diversité ethnique, les changements sociaux et la libération sexuelle (Darowski, 2014). Les histoires donnent la part belle, d’une part, aux voyages dans l’espace et, d’autre part, aux introspections et relations entre les personnages. Cette densification de l’écriture et le dépassement des limites terrestres initient le succès de la série X-men. Plus de mutantes proposent des idées et elles sont plus souvent acceptées. C’est la période la plus favorable aux mutantes, en ce qui concerne l’acceptation des idées suggérées. C’est aussi la période la plus favorable aux actions indépendantes. Durant cette période, les personnages féminins sont particulièrement enclins à donner de soi et à prendre des initiatives. Kitty Pryde saisit toutes les chances de participer à l’action malgré son jeune âge. Jean Grey se sacrifie plusieurs fois pour sauver ses coéquipiers, Storm propose spontanément d’utiliser son énergie vitale pour soutenir les efforts de Jean Grey. Cette importance donnée aux suggestions d’idées et aux actions indépendantes est la manifestation directe des révolutions sexuelles et des mouvements féministes. La primauté de l’interprétation principalement masculine des standards sociaux (Behm-Morawitz et Pennell, 2013) vacille. Si au début, les comics s’adressaient à un lectorat masculin avec des personnages presque uniquement masculins, la période inclut des personnages féminins auxquels les auteurs donnent de l’importance. Les personnages masculins doivent partager la scène et s’effacer un peu, permettant de nouvelles identifications pour les lecteurs des deux sexes. La mutante Jean Grey devient particulièrement puissante, capable de soutenir la structure de l’univers ou de dévorer une planète. Par contre, les capacités d’utilisation de pouvoir sont plus réduites que précédemment. La capacité d’agir sexuellement est plus importante, mais aussi plus contrainte. De nombreux rapprochements et baisers sont initiés par des personnages féminins. Une première relation sexuelle est suggérée, longtemps la seule scène de la série qui soit équivalente à une sexualité entre adultes consentants. Cependant, c’est aussi une période qui objectifie les personnages féminins. La nudité est très présente, les personnages sont sexualisés par leurs costumes ou encore par choix narratifs. Quand Mystique prend son apparence de super-vilaine, les dessinateurs gonflent sa poitrine. Jean Grey explore sa sexualité à travers ses fantasmes et développe une sensualité pour mieux tomber ensuite aux mains d’un super-vilain qui la subjugue. Jean Grey, dépassée par sa sexualité, chute dans le non conventionnel. Jean Grey est alors représentée comme dangereusement indépendante et avec une touche de perversité. La situation dure peu de temps puisque le personnage se suicide pour ne pas devenir une menace trop puissante. Les mutantes acquièrent donc une certaine indépendance dans leur rôle de superhéroïnes et une certaine liberté sexuelle, mais elles n’atteignent pas leur plein potentiel pour l’utilisation de leurs pouvoirs.
1983-1991 L’essoufflement des combats
Le nombre des mutantes et leurs apparitions continuent de progresser et la part de fréquence d’apparition accède presque à une parité (46,11 %). Les années 1980 et le début des années 1990 voient une augmentation de la création et de l’utilisation de personnages, liée à leurs potentiels commerciaux, par exemple, l’utilisation d’un personnage comme Wolverine fait vendre. De même, les lecteurs montrent de l’enthousiasme pour la présence de personnages nombreux dans les pages de leurs comics. Enfin, la vente de produits dérivés, comme les figurines, explose, ce qui incite à développer plus de personnages pour proposer plus de figurines (Gabilliet, 2005). Les mutantes deviennent charismatiques et gagnent en profondeur et en puissance. Storm, Rachel Summers, Rogue, Psylocke et Dazzler évoluent mentalement et physiquement, se montrent capables de supporter des stress et des charges supérieures, physiques et mentales, à celles masculines. La deuxième partie des années 1980 voit la multiplication des concepts et des représentations féminines différentes comme les Tough Girls et Bad Girls. Les idées suggérées acceptées restent nombreuses, celles suggérées refusées sont constantes. Par ailleurs, les acquis de la précédente période se maintiennent et assoient la place des mutantes. Elles interviennent plus dans les débats et leurs avis participent à l’avancée des intrigues. Les actions indépendantes sont bien moins importantes. Les situations empêchant les actions indépendantes, les situations empêchant l’utilisation du pouvoir, la capacité à agir sexuellement et la réduction de l’agentivité sexuelle sont les plus nombreuses en comparaison des autres périodes. Les mutantes commencent à perdre une indépendance nouvellement gagnée. Un nombre important de situations empêchant l’action indépendante et l’utilisation des pouvoirs est observable, notamment des dépossessions de pouvoirs. Succédant à la période la plus indépendante des mutantes, il est envisageable d’y interpréter un retour de bâton, un backlash (Faludi, 1993) limitant le pouvoir d’agir de manière indépendante. D’après Faludi (1993), un mouvement antiféministe se met en œuvre durant les années 1980. Ce mouvement propage des idées critiques quant au positionnement carriériste des femmes, ce que l’auteure interprète comme une remise en cause des victoires, jamais totalement acquises, des droits sociaux des femmes. Trop puissantes, les mutantes devraient passer pour être plus contrôlables et sont donc rendues inoffensives, vulnérables. Marvel se montre progressiste en ce qui concerne la capacité à agir sexuellement, tout en accentuant l’objectification. L’allègement du Comics Code Authority (Jetté, 1997) permet une certaine libération dans les discours sur la sexualité. Cette libération se manifeste dans des expressions de désirs, des initiations de rapprochements et des baisers toujours plus nombreux. Cependant, ces discours restent contrebalancés par une objectification toujours en progression. Cette objectification continue des corps féminins correspond à une imposition de normes de genre. La répétition de ces représentations entretient les modèles de représentation des genres de manière constante et participe au maintien des normes. L’éditeur se montre aussi conservateur en ce qui concerne le pouvoir et les actions indépendantes. Pour Cocca (2016), c’est le début de l’âge moderne qui retourne vers des représentations plus traditionnelles.
1991-2001 La fétichisation et l’explicitation de l’objectification
Une certaine stabilité s’amorce en ce qui concerne la proportion de mutantes dans les apparitions. En ce qui concerne la part de fréquence d’apparition, elle régresse. Au début des années 1990, les lecteurs montrent leur intérêt pour les personnages féminins, suscités par des choix esthétiques particuliers (la brokeback pose) et les éditeurs suivent la tendance pour offrir aux lecteurs ce qu’ils attendent(Darowski, 2014; Madrid, 2016). Le nombre d’idées suggérées s’effondre, mais les idées acceptées restent plus importantes que celles refusées. Aucune action indépendante ne survient durant cette période, et une seule situation empêche l’indépendance d’action. La mutante Marrow exprime que son arrivée au sein des X-men ne relève pas d’un choix personnel, mais bien de l’influence de sa leader Callisto. Les pouvoirs des mutantes sont moins mis en avant. On observe moins de freins à l’utilisation du pouvoir. Les freins, bien que moins nombreux se diversifient et dévoilent de nouvelles stratégies narratives de contraintes. Ces freins relèvent de la déconsidération, du sentiment d’inutilité, de l’angoisse de perte de contrôle de soi, de la contrainte par un tiers, situations qui n’étaient jamais apparues avant. Des exemples de dépossession, de non-maîtrise et de pertes de maîtrise de ses pouvoirs s’ajoutent aussi à ces freins. La capacité d’agir sexuellement (14 contre 25) et les freins de l’agentivité sexuelle (14 contre 40) baissent. Les Tough Girls (Inness, 1999) et Bad Girls (Cocca, 2016) émergent et deviennent les principales représentations de personnages féminins. Mais c’est surtout le moment où la sexualisation (Cocca, 2016) et l’objectification s’enflamment, notamment par la stratégie représentative de la brokeback pose (Darowski, 2014) et par une nudité plus présente, moins suggérée. La période semble renoncer à procurer des capacités d’agir aux personnages féminins. Marvel semble revenir à un positionnement initial non progressiste où l’indépendance, les idées suggérées et la capacité d’agir sexuellement s’estompent. McRobbie (2004) permet de penser ces changements comme des conséquences de l’accentuation de l’antiféminisme et la montée en puissance des idées traditionnelles portées par George Bush Jr., qui ont mené à son élection à la présidence des États-Unis en 2001.
2001-2008 Le hors-norme, l’interrogation du système
Cette période correspond à l’influence de l’adaptation des X-men au cinéma. La série atteint son nombre record de 53 mutantes apparaissant durant cette période. La proportion de mutantes apparues continue sa progression atteignant 39 %. Le concept de mutant atteint son apogée : les éditeurs posent les mutants comme la future espèce dominante. Par contre, la part de fréquence d’apparition s’affaisse, passant de 46,11 % à 36,63 %. Les mutantes deviennent moins fréquentes, comme si les lecteurs avaient perdu leur intérêt pour elles. Les éditeurs offrent peu de représentations où les mutantes suggèrent des idées. On observe aussi un retour modéré des actions indépendantes et des situations empêchant l’indépendance d’action. Les pouvoirs semblent moins contraints puisqu’il y a moins de situations empêchant l’exercice du pouvoir. La puissance des pouvoirs est moins mise en avant durant cette période. La capacité d’agir sexuellement atteint un niveau record, toujours contrebalancé par une objectification et des contraintes. L’accentuation sexuelle des années 2000, considérée comme un climax par Madrid (2016), témoigne d’un changement important avec des designs et des contenus plus adultes. Stacy X, personnage introduit durant cette période est une travailleuse du sexe, ce qui confère une ambiance sulfureuse à la série et initie des comportements sexuels et des discours à contenu sexuel plus nombreux. Durant cette période, les comportements sexuels des mutantes sont aussi critiqués par leur entourage, ce qui est nouveau par rapport aux autres périodes. Toutefois, Marvel se fait aussi lui-même porteur de critique de l’objectification, dénonçant par ses personnages le recours à des tenues plus sexy que pratiques, ou encore le recours aux personnages féminins alibis (Madrid, 2016). La mutante Husk questionne ainsi le phénomène : « You were probably just starting to wonder what little old me was doing here with these guys (…) What is she, the secretary? The research girl? The T&A comic relief?[10] » (# 417). Marvel prend ici une position transgressive, donnant à sa série une connotation sexuelle explicite tout en dénonçant le système de genre et les stratégies de captations des lecteurs. On peut même dire que c’est la période la plus subversive de Marvel, puisque l’éditeur intègre dans ses pages des détournements et des retournements des normes.
2008-2011 La raréfaction des mutants, le réveil des mutantes
Le nombre global de mutants ayant baissé par choix narratifs et éditoriaux (dépossession des pouvoirs de la majorité des mutants pour arriver au chiffre de 184), la proportion de mutantes a augmenté sensiblement pour atteindre 43,8 %. Les personnages les plus charismatiques sont conservés; or, ils sont nombreux chez les mutantes. La part des fréquences d’apparition des mutantes reprend une progression positive. Quelques idées continuent à être suggérées par des mutantes et la majorité est acceptée. Les actions indépendantes sont à nouveau plus fréquentes, mais une limitation équivalente reste présente. Les mutantes prennent une place plus importante, leurs pouvoirs sont plus mis en avant, elles affrontent des dangers plus importants, accomplissent des miracles. La limitation des pouvoirs est très faible. La capacité d’agir sexuellement disparait de nouveau et fortement. Les freins de l’agentivité sexuelle sont eux aussi limités. Marvel semble continuer à privilégier les actions indépendantes, mais perd la teneur progressiste liée à la sexualité. Ce résultat est à nuancer, la période ne durant que trois ans. Les faibles résultats peuvent s’expliquer par le faible nombre de numéros de cette période. Cependant, les mutantes prennent une place plus importante. Très peu de mutantes finalement ont perdu leurs pouvoirs en comparaison avec les mutants. Le nombre limité de mutants met donc en avant les personnages féminins et permet leur représentation fréquente.
2011-2012 La survie, l’entrée en résistance
Durant cette période, une parité est frôlée avec une proportion 44,1 % de mutantes apparues parmi les mutants. La fréquence d’apparition des mutantes approche aussi cette parité avec 47,22 %. Moins de personnages sont utilisés et la focalisation de la série se fait sur les personnages les plus charismatiques. Aucune idée n’est suggérée par une mutante. Aucune action indépendante de mutante n’est présentée, par contre des situations empêchant l’indépendance d’action des mutantes sont présentent. La capacité d’agir sexuellement est totalement absente. Un frein à l’agentivité sexuelle est présent. Marvel semble perdre son statut progressiste ne favorisant pas les personnages féminins, si ce n’est par leur nombre. Cette période ne dure qu’une seule année. La quasi-absence d’événements notés en 2011-2012 est probablement en bonne partie due au petit nombre de numéros inclus dans cette période, soit 20 numéros. Un an fut le temps nécessaire pour relancer la série après un évènement important qui changeait la direction narrative de la franchise. La série est clôturée pour une nouvelle relance après un second évènement plus décisif : le retour de l’entité Phoenix. Cet évènement entraine l’affrontement entre X-men et Avengers et le changement des relations entre les personnages des différentes séries Marvel.
2013-2015 Le nouvel âge d’or : nouvelles frontières, nouveaux espaces de pensée
De nouveaux mutants sont créés. Une nouvelle fois, la majorité de ces personnages sont masculins. La proportion de mutantes se retrouve donc en baisse en nombre et en fréquence d’apparition. Les idées suggérées font leur retour qu’elles soient acceptées ou non. Les actions indépendantes réapparaissent aussi, mais de manière plus intense, ainsi que la capacité d’agir sexuellement. Ce phénomène s’expliquerait par un contexte appuyé par des idées plus progressistes et des critiques du système de genre, ce qui facilite le passage à l’action indépendante pour les personnages féminins. Les jeunes X-Women revendiquent leur statut de femmes indépendantes et conscientes de leurs capacités « We’re all X-men. – Powerful women standing on our own two feet. – Standing up for what we believe in. – Standing up for all of mutankind. – Strong - - - Independent women. » (vol3#15). Et c’est dans cet état d’esprit qu’elles font preuve d’initiatives. Tempus prend sur elle de sauver l’univers en utilisant son pouvoir. Les Cuckoos se vengent de l’objectification en faisant oublier à Triage son prénom et le menacent de faire pire. Et lorsque ces mêmes mutantes supposent que leur destin va peut-être changer, elles proposent un possible rapprochement sexuel à but humanitaire, sans réel désir ce qui perturbe un de leurs équipiers masculins. « - What if it’s a trap and they never come back? – We’ll have to repopulate the mutant race through procreation. So let’s all get to work. – Alrighty then. – You guys are scaring me. » (vol 3 # 24). Les jeunes mutantes montrent une capacité à se représenter une relation sexuelle non motivée par un désir relationnel ou amoureux, ce qui s’oppose aux représentations habituelles des jeunes femmes et sous-tend une évolution sociale progressiste. Le nombre de situations empêchant l’indépendance d’action reste stable. De même, la réduction de capacité d’utilisation de pouvoir et les freins à l’agentivité sexuelle ne fluctuent pas ou peu. Marvel semble manifester un renouveau et réintroduire de l’agentivité aux mutantes, ce qui le resituerait dans un positionnement progressiste.
4.5.2Points communs à toutes les périodes
En complément de ces fluctuations temporelles, nous pouvons émettre des remarques d’ordre plus général.
Le nombre de mutantes
En accord avec les autres auteurs (Cocca, 2016; Darowski, 2014), le nombre de mutantes est inférieur au nombre de personnages masculins, et ce, quelle que soit la période. La fréquence d’apparition des personnages est elle aussi inférieure, même si elle se rapproche parfois d’une vraie parité. On rappellera cependant les fluctuations du nombre total de mutants, dues aux décisions éditoriales et économiques, comme nous l’avons vu à travers la succession des périodes dans la section précédente.
L’évolution de l’agentivité
Nous nous attendions à une évolution constante et importante de toutes les différentes formes d’agentivité. Ce n’est pas ce que nous avons observé. Globalement, les mutantes accèdent à plus d’agentivité de manière constante jusqu’à un certain point puis perdent cette composante au fil du temps pour se rapprocher des niveaux originels. Dans les époques les plus récentes, les mutantes regagnent de nouveau de l’agentivité sans atteindre toutefois les niveaux records des années 1980 et 2000. On se serait aussi attendu à des expressions positives et négatives pour chacune des formes d’agentivité comme celles que l’on peut observer dans la vie quotidienne. Ainsi, en contrepartie des freins à l’agentivité de pouvoir et à l’agentivité sexuelle on s’attendrait à trouver aussi des facilitateurs. Nos résultats ne vont pas dans ce sens, les facilitateurs d’agentivité étant bien plus rares que les freins. Enfin, par ailleurs, en ce qui concerne l’agentivité sexuelle, elle n’est vraiment présente que durant deux périodes. Par contre, une objectification des mutantes est observable durant toutes les séries X-men. Cette objectification s’accentue avec le temps et le relâchement simultané de la censure (Madrid, 2016). Le corps des mutantes constitue dès lors un objet de regards et de fantasmes, influencé par les canons successifs (Brown, 2011; Madrid, 2016; Robinson, 2004), sexualisé par différentes stratégies, orienté pour un lectorat masculin.
La question du genre dans les comics
Pour faire écho à De Lauretis (2007) qui voit le genre comme un élément pour questionner et réinterpréter les productions culturelles, on peut observer ce qui est représenté dans les comics. Le genre féminin représenté ici dans les pages des comics par les mutantes, semble dominé durant les premières publications. Ainsi, l’oppression des femmes est perpétuée à travers des normes de représentations et des contraintes disposées par la matrice hétérosexuelle (Butler, 2006). Les comics à travers cette grille d’interprétation se font outils de propagande. Par exemple, les mensurations inaccessibles des superhéroïnes et les brokeback poses sont des exemples des normes de représentations véhiculées par les comics. Les critiques des comportements des mutantes par leur entourage correspondent à des régulations de la sexualité par le truchement des valeurs et des interdits. Ces critiques sont aussi une reproduction des normes et une tentative de contrôler l’autre (Giddens, 2005). Chaque représentation porteuse d’objectification, chaque limitation de la capacité d’agir joue en défaveur des mutantes dont la position est déterminée par les auteurs. Toutefois, on observe une progression en ce qui concerne les scripts de genre et les modèles différents, diversifiés de ceux traditionnels comme les femmes fortes. Ces personnages à la fois puissants, charismatiques et résistants deviennent une nouvelle norme de représentation positive et porteuse de valeurs féministes.
Le genre est aussi processus de représentation et résultat de ce processus (De Lauretis, 2007). Ainsi, les mutantes font office de construction intellectuelle et artistique d’un genre, mais sont aussi représentantes du genre féminin tel qu’il devrait être selon le fantasme des créateurs et des auteurs, mais aussi selon l’époque. On observe d’ailleurs une régression des acquis dus aux changements sociaux. L’écoute et les libertés conférées aux personnages féminins chutent comme le montraient Darowski (2014) et Cocca (2016). Les deux auteurs observent aussi un retour vers des représentations plus binaires et traditionnelles des personnages. Dans l’étude actuelle, on observe une régression des différentes formes d’agentivité, comme une perte d’acquis durant les années 1990. L’ajout de trois périodes n’a fait que confirmer cette tendance avant le renouveau de 2013 qui correspond à la troisième relance de la série. Cette régression agit comme un retour de bâton et illustre l’influence du genre dans son sens le plus récent de relation de domination (Löwy et coll., 2003). Cette influence ne s’arrête pas là.
Inégalités de traitement entre les genres
Kripal (2011) et Madrid (2016) avaient déjà évoqué l’alliance entre pouvoirs, violence et sexualité. Cette violence, couplée à un double standard, est dénoncée par Gail Simone (1999) et son mouvement Women in refrigerators. Écrivaine et scénariste, Gail Simone a observé que les personnages féminins des comics connaissaient souvent des destins tragiques et des fins violentes, bien plus que les personnages masculins. Le mouvement nait et est nommé d’après l’exemple parlant de la maitresse de Green Lantern, personnage de l’éditeur DC Comics, démembrée et cachée dans un réfrigérateur. Simone remarque que les personnages féminins subissent des évènements en lien avec la sexualité, ce qui n’est pas le cas pour les personnages masculins. Ainsi, Invisible Girl fait une fausse couche, Ms. Marvel est violée, Wasp subit des violences conjugales. Les personnages féminins sont aussi plus nombreux à être dépossédés de leurs pouvoirs. Les fins tragiques des personnages féminins sont souvent liées à une sexualité agie, et une atteinte de puissance trop importante. Jean Grey, dépassée par la puissance et la faim insatiable de jouissance du Phoenix (elle a dévoré une planète et ses habitants) n’a pour seule échappatoire que le suicide. Ce suicide n’est pas décidé par les créateurs qui souhaitaient donner une fin plus atténuée au Phœnix, en dépossédant, seulement, Jean Grey de ses pouvoirs (Darowski, 2014). C’est l’éditeur en chef Jim Shooter qui a décidé qu’elle devait « payer pour ses crimes » (DeFalco, 2006). Dans les deux cas, les scénarios sont porteurs de morale conservatrice comme le remarque Darowski et le fait qu’un éveil sexuel précède cette fin est à juste titre questionnable. Cyclops, de son côté, ne souffre d’aucune punition, si ce n’est d’un deuil court, puisqu’il rencontre une femme six épisodes plus tard, puis étrangement un sosie de Jean Grey avec qui il aura un enfant. Les personnages masculins connaissent rarement des fins aussi cruelles que celles des personnages féminins. Si le décès survient pour des personnages masculins, ce sera plutôt de manière glorieuse en sauvant un univers ou une population. La mort d’un personnage féminin sert aussi souvent de motivation à la revanche d’un personnage masculin, renforçant l’impression utilitaire que suscitent les personnages féminins et leurs morts. Gail Simone (1999) établit donc une liste qu’elle a publiée sous forme de site Internet pour recenser ce fait. Les réactions des scénaristes et des fans sont mitigées et la liste est souvent décriée en arguant le fait que des personnages masculins aussi sont tués ou affrontent des situations traumatisantes. Mais comme le fait remarquer l’éditeur de contenu de la page Web Women in refrigerators, John Bartoll (Simone, 1999), les personnages masculins connaissent rarement de fins définitives et sont plus souvent réincarnés, réanimés. De plus, les évènements négatifs servent le parcours du héros. Ces évènements, ces obstacles, font partie du challenge à l’origine de la transformation du personnage en héros et ne surviennent pas ensuite dans la vie du personnage masculin. Ces héros masculins revenus à la vie s’avèrent même plus puissants qu’avant leurs décès. L’exemple le plus parlant est Captain América. Prisonnier des glaces à la fin de la Seconde Guerre mondiale, son corps est conservé, puis retrouvé et ramené à la vie par les Avengers. Cette anecdote inspire le nom à cette contrepartie genrée des Women in refrigerators : Dead Men Defrosting. Les parcours des personnages féminins sont donc fortement influencés par des choix narratifs, et ce, de manière plus durable que pour les personnages masculins. Les femmes puissantes, qui ont du pouvoir (et faudrait-il ajouter ont une sexualité), sont puissamment punies. Notre corpus montre effectivement l’accession au pouvoir comme punissable et de nombreuses mutantes expérimentent des pertes de pouvoirs, des décès (parfois plusieurs pour un même personnage), des asservissements. En plus de Jean Grey, l’exemple le plus parlant, on peut citer Storm qui s’autorise un changement de style et une vie plus libre et se retrouve dépossédée de ses pouvoirs. Psylocke voit ses pouvoirs se décupler avant de mourir peu d’années plus tard. Ce phénomène semble participer à l’oppression des personnages féminins, en tant que stratégie de maintien de la domination.
Genre et pouvoirs
Plus que l’agentivité, c’est la répartition des pouvoirs qui semblerait influencée par le genre. Des pouvoirs seraient réservés aux personnages féminins, parce qu’en rapport avec les stéréotypes de genre : le pouvoir défensif irait à une mutante, le pouvoir offensif au mutant. Le travail d’analyse des mutants n’étant pas l’objet de ce travail, cette idée ne peut que rester une hypothèse. On observe aussi cette différenciation entre héroïnes et super-vilaines. Comme nous l’avons dit plus haut, les super-vilaines peuvent bénéficier d’attributs masculins, puisqu’elles sont moins nombreuses et ne sont pas censées représenter les normes de genre. Cette répartition inégale annoncée par Madrid et mise en lien avec le double standard (2016) ne positionne pas Marvel comme progressiste. Le fort pouvoir ne peut être possédé par un personnage féminin, encore moins s’il est indépendant. La distribution du pouvoir est donc inégale. Soit le personnage féminin est trop puissant ou est une super-vilaine et doit être dépossédé de sa puissance, soit le pouvoir est faible, vulnérable ou défensif. Sinon, le personnage féminin doit être en rapport avec un personnage masculin qui décide et dirige l’utilisation du pouvoir, pour ne pas dire qu’il domine le rapport de pouvoir. Il n’y a pas pour l’instant de contre-exemple dans notre corpus. Même les mutantes les plus indépendantes sont en relation avec un partenaire qui influence l’utilisation de leurs pouvoirs ou bien elles ont un pouvoir limité en puissance. Storm, pourtant indépendante, utilise beaucoup moins son pouvoir lorsqu’elle se met en couple avec Tchalla, le héros Black Panther, roi du Wakanda, une province africaine inventée pour le background du personnage. Les plus puissantes sont dépossédées ou décèdent. Selene est assujettie au Club des Damnés. Mystique n’utilise pas son pouvoir de manière offensive. Les créateurs semblent aussi attribuer les pouvoirs psychiques et invisibles aux mutantes et les pouvoirs physiques aux mutants (Fawaz, 2016). L’utilisation même du pouvoir serait influencée par le genre : telle mutante utilisera son pouvoir pour séduire ou comprendre l’autre, tel mutant utilisera son pouvoir pour imposer sa volonté ou percuter un adversaire. Cette répartition des pouvoirs participe de l’influence du genre. Les représentations des personnages dans les comics, la distribution de leurs pouvoirs participent à la fois à présenter la performance et la répétition du système qui positionnent les individus pour se consolider, la matrice hétérosexuelle (Butler, 2006). C’est à la charge ensuite du lecteur, d’accepter et d’absorber ces représentations (De Lauretis, 2007) ou de les rejeter (Hall et coll., 1994). Mais comme nous l’avons vu, c’est aussi parfois l’occasion de proposer des représentations de genre non traditionnelles subversives (Butler, 1990). Stacy X, la mutante travailleuse du sexe utilise à ses fins l’objectification et la retourne parfois, transgressant les normes traditionnelles. On trouve aussi des échanges particuliers entre personnages qui interrogent directement les positionnements des lecteurs et retournent la régulation.
L’oppression et la dimension de pouvoir sont des notions qu’on retrouve aussi dans l’agentivité sexuelle. Nous avons particulièrement porté notre attention sur l’initiation des actes sexuels et l’expression du désir comme composantes de l’agentivité sexuelle. Ce sont en effet les éléments les plus explicites permettant de mesurer la capacité d’agir sexuellement. La représentation de cette capacité reste cependant limitée. La possession de son propre corps et l’expression de la sexualité sont présentes avec prises d’initiatives et désirs conscients (Averett et coll., 2008). Des mutantes comme Jean Grey cherchent et créent le rapprochement. D’autres comme Husk discutent de leurs envies sexuelles ou comme Jean Grey expriment l’excitation provoquée par la vue des fesses de son mari Cyclops (# 325). Le passage à l’action (Lang, 2011) fait d’ailleurs rapidement partie des représentations de la sexualité des mutantes dans les comics.
D’autres composantes de l’agentivité sexuelle sont absentes des comics X-men. On citera l’expression des sentiments de contrôle et de liberté (Averett et coll., 2008) et les revendications de droit sexuel (Hammers, 2009) ou de subjectivité sexuelle (Tolman, 2002) ou encore la volonté d’exercer du pouvoir dans la sexualité (Albanesi, 2009). Ces notions récentes n’ont sans doute pas encore trouvé leurs places dans les comics, la sexualité n’étant pas au cœur de la trame narrative et le lectorat restant majoritairement masculin.
Super pouvoirs et sexualité
Par ailleurs, certains liens entre sexualité et super-pouvoirs restent à explorer. Avant les années 2000, aucun personnage n’utilise ses pouvoirs dans un but ou dans une pratique sexuelle de manière explicite. Stacy X est l’initiatrice de cette dimension. Avant, si l’on suit l’idée de Kripal (Kripal, 2011), la censure empêchant l’expression de la sexualité, celle-ci passait par l’utilisation du pouvoir, en tant que métaphore de l’énergie sexuelle(Bukatman, 1994; Madrid, 2016). La complexification et l’explicitation des dimensions relationnelles entre personnages rendent ensuite moins utile la représentation métaphorique de la sexualité par le pouvoir. Cette dimension sexuelle subsisterait cependant dans la représentation graphique et narrative du pouvoir. Les douleurs et les mal-être exprimés seulement par les personnages féminins au moment des prémices des pouvoirs iraient bien dans ce sens. Les pouvoirs intervenant dans la sphère sociale et relationnelle apportent une dimension sexuelle. Par exemple, Emma Frost qui se promène dans l’esprit de Cyclops, le perçoit comme un vaste lupanar où se promènent toutes les mutantes ayant traversé les fantasmes de son compagnon. Rogue, qui s’approprie les pouvoirs par le toucher, se rapproche intimement des autres personnages quand elle utilise son pouvoir. La majorité des pouvoirs des mutantes sont invisibles, ce qui rend nécessaire leur visualisation par le dessin à l’aide de stratégies de représentation. Des normes de représentations du pouvoir en découlent qu’elles soient symboliques (cerveau ou yeux pour la télépathie) ou purement graphiques (ligne en pointillé pour l’invisibilité, représentation d’étapes intermédiaires pour les changements dynamiques des métamorphes). Ces normes sont aussi genrées par un code couleur. Pour différencier les mutants dans un échange entre télépathes, le bleu est plutôt attribué au masculin, le rose ou le violet est plutôt dédié au féminin. Ces normes de genre fonctionnent comme les règles qui sont posées par les structures sociales dans le modèle de Giddens (2005) et permettent la construction et la répétition des structures.
Les marqueurs de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) que nous avons utilisés ne recouvrent pas toute l’agentivité. Ces marqueurs sont cependant des données observables déjà identifiées. Ces marqueurs sont plus simples d’utilisation dans le contexte des comics que les processus de Giddens (2005) de réflexivité, de rationalisation et de motivation. Ainsi les auteures ont décidé de s’intéresser aux idées suggérées, mais l’agentivité sociale regroupe d’autres marqueurs. Les structures (Giddens, 2005) dessinent le degré d’agentivité, contraignent ou permettent d’agir et notre matériel en est rempli : les structures religieuses en sont de bons exemples. On peut aussi citer le racisme, le sexisme, l’éducation, le système de classes sociales… sans oublier les normes de genre. Nos mutantes voient leurs agentivités augmenter ou régresser en fonction de ces structures, ce qui corrobore la détermination culturelle de la capacité d’agentivité (Barker, 2016). Un questionnement parallèle peut se faire concernant les pouvoirs et la sexualité : sont-ils déterminés culturellement ? Le pouvoir n’est pas une ressource selon Giddens (Giddens, 2005). Par contre pour Wiebe (2010), le pouvoir correspond aux ressources et capacités procurées par les structures. Les pouvoirs surhumains des mutantes sont-ils des ressources procurées par les structures ? Oui, en partie, si l’on s’intéresse aux pouvoirs comme déterminés et attribués par les auteurs aux personnages, « inspirés », influencés par les normes environnantes. Pour ce qui est de la sexualité, elle dépend des discours et des normes sociales (Lang, 2011). Il est donc évident d’observer une progression de la représentation d’actes sexuels dans les comics. Cette accentuation de la sexualité dans les comics découle des changements sociaux et donc des discours sur la sexualité. Ces discours, depuis les révolutions sexuelles occidentales, l’épidémie de VIH et les réformes législatives liées aux droits des minorités sexuelles, font acte de résistance mineure face à une société nord-américaine puritaine qui elle aussi fluctue entre progressisme et conservatisme. À une période où l’égalité entre sexes est revendiquée, et l’oppression sexuelle dénoncée, on peut penser voire apparaitre dans les comics, des discours sexuels plus novateurs notamment en termes de plaisirs. Ces discours donneront plus de profondeur à ces personnages dont la sexualité reste la partie la plus immergée. Le remplacement de certains héros par des héroïnes semble aller dans ce sens (Proctor et Kies, 2018). Iron Man est remplacé par Iron Heart, Thor laisse sa place à une version féminine de Thor, etc.
4.6Limites
Notre travail comporte un premier biais lié au savoir situé. La posture du chercheur est celle d’un fan, lecteur assidu depuis de nombreuses années. Il y a donc un attrait personnel et un rapport particulier qui lie le chercheur à son sujet. Ce rapport particulier véhicule une difficulté à expliciter des savoirs et des intuitions implicites. Des attentes quant aux résultats se sont naturellement présentées. La prise de distance et l’objectivité nécessaires au travail de recherche se sont souvent trouvées aux prises avec le souci d’authenticité et le désir d’exhaustivité. Les échanges fréquents avec la direction de recherche ont tenté de circonscrire ces biais.
Un second biais réside en notre choix d’approcher notre sujet par périodes. Notre étude s’est construite à partir des cinq périodes posées par Darowski (Darowski, 2014) dans sa recherche, formant des ensembles cohérents. C’est pourquoi on a ajouté trois périodes formant elles aussi des ensembles cohérents (fin de la première série, deux relancements). Les ensembles ainsi constitués ont le défaut de ne pas être égaux en nombre de comics publiés. Ainsi, la septième période ne fait que vingt numéros. Nous avons tenté d’atténuer ce défaut en choisissant de calculer un nombre moyen d’occurrences des évènements. D’autres options pourraient être explorées et mériteraient notre attention : la distinction temporelle en âge de Cocca (Cocca, 2016) ou une distinction par dates ou par nombres de comics. La dernière option, plus élégante passerait peut-être à côté de certains phénomènes comme la succession de grands changements narratifs.
Un troisième biais, plus structurel consiste en notre échantillon et notre choix de critères de sélection du corpus. Des cas extrêmes ou intéressants apparaissent peu dans la série et n’apparaissent donc pas dans l’échantillon restreint que nous avons composé. On ne peut donc développer certains aspects. Par exemple, les personnages victimes de multiples vecteurs d’oppressions sont rares. La mutante Cecilia Reyes, portoricaine, est confrontée au racisme, au sexisme, au rejet des mutants et devient même, un certain temps, dépendante de produits psychoactifs perdant ainsi le contrôle de ses pouvoirs. De même, certains contenus ne peuvent ressortir dans nos résultats du fait de nos critères de sélections du corpus. Lors de l’épisode #528, deux mutantes, Nekra et Frenzy, afro-américaines brulent le musée d’art moderne de San Francisco. Leurs revendications sont éloquentes : « Barry Richardman’s so-called art is cheap, exploitative porn! – What he does to his models is borderline assault ans unquestionably cruel! The public funded it - - and the public can shut it down! ». Le choix de mutantes aux origines métissées et aux pouvoirs en rapport avec la force[11] pour porter ce combat féministe ne semble pas anodin. Beaucoup de femmes noires se sont impliquées pour faire avancer certaines théories féministes. Les revendications féministes pourtant intéressantes ne trouvent pas leurs places dans nos résultats, alors même qu’elles nuanceraient le positionnement perçu de Marvel. Cependant, la focalisation sur un nombre encore plus restreint de mutantes aurait permis des portraits plus complets et plus vivants des personnages. Ensuite, notre étude s’est concentrée sur les marqueurs mis en avant par Clark et Jacobs Henderson (2018). On a évoqué plus haut les structures sociales, bien d’autres informations participeraient à déterminer l’agentivité des mutantes. Ainsi certaines données émergentes que nous avons tenté de réunir sous des concepts plus globaux, n’ont pu rentrer dans nos résultats. Le leadership et l’agentivité intrinsèque liée au charisme et à l’influence, les actes qui font changer la considération des autres vers l’acceptation ou le rejet compléteraient l’agentivité sociale. Les revendications textuelles d’indépendance, la vulnérabilité, les effets de l’environnement, les effets de l’expérience vécue, le rapport aux sentiments compléteraient l’agentivité d’indépendance. Le rapport au pouvoir, le rapport de pouvoir, la conscience de sa propre puissance, les atouts personnels, les compétences, la découverte du pouvoir et les sentiments liés à la dépossession d’un pouvoir et la représentation graphique du pouvoir pourraient compléter l’agentivité de pouvoir. Les expressions de la douleur liée à l’apparition du pouvoir chez les mutantes (s’approchant de celles évoquées au moment de la puberté), la critique du système de genre, la dénonciation de l’objectification, les revendications féministes et l’expression de l’empowerment pourraient s’ajouter à l’agentivité sexuelle.
Un quatrième biais réside dans le choix d’évaluer les changements d’agentivité des femmes à travers le temps sans faire la comparaison avec l’agentivité des hommes. Le même exercice d’analyse serait donc à effectuer pour un portrait de l’agentivité plus complet. En l’absence de ces données, le potentiel d’interprétation des résultats s’avère limité. Ainsi, lorsqu’une période est marquée par une augmentation des restrictions à l’agentivité, il est possible que cela suggère un traitement différentiel entre mutants et mutantes, mais il est aussi possible que ce soit un effet global sur tous les personnages. Par exemple dans les cas de structures de commandements plus rigides ou de conflits entre membres, la restriction d’agentivité pourrait toucher les deux membres. En l’absence de telles informations, soit des données sur l’un des deux genres absentes, les jugements de traitements différentiels sont donc à nuancer et demandent le complètement des données.
Enfin, notre étude n’est pas généralisable. Les séries Uncanny X-men prennent place dans un univers plus étoffé, servi par plusieurs séries. Il n’est pas rare de voir des personnages traverser ces différentes séries ce qui dissémine les informations. Une vision plus précise des mutantes mériterait l’étude de ce matériel, mais demanderait aussi un temps bien plus long. Les séries X-men continuent aussi d’être publiés. Cela implique que nos résultats sont valables jusqu’en 2015. Ces résultats seraient certainement nuancés ou contrebalancés par les publications récentes, porteuses de questionnements sur les genres et de remises en cause féministe des rapports de pouvoirs. Le nouvel âge d’or de Cocca (2016) ayant cours dans les années 2010 montre une complexification, une diversité et une place prépondérante données aux mutantes et aux personnages féminins. Ces évolutions paraissent très influencées par le lectorat dont la voix se fait entendre par les réseaux sociaux (Jenkins, 2018; Peeples et coll., 2018). Plus de séries à l’heure actuelle sont dédiées à des personnages féminins principaux (Cocca, 2016). Plus de personnages afro-américains ou originaires d’Amérique latine sont représentés dans les comics (McGrath, 2007). C’est aussi la période d’apparition de personnages de religions musulmanes (Davis et Westerfelhaus, 2013; Gibbons, 2017). De plus, les résultats ne sauraient s’appliquer ni à l’univers des comics Marvel ni à celui des comics en général. L’éditeur DC Comics, notamment, diffère avec des personnages comme Wonder Woman ou Super Girl. Les comics plus indépendants et les labels plus adultes peuvent se montrer très explicites en matière de contenu sexuel. On citera notamment Sex Criminal publié en 2013 chez Image Comics qui relatent les aventures de personnages capables d’arrêter le temps au moment de leurs orgasmes.
4.7Ouverture et application
L’ajout de l’agentivité sexuelle aux marqueurs de l’agentivité de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) s’avère cohérent. Cet ajout apporte un complément qualitatif à la conceptualisation de l’agentivité des personnages féminins dans les comics. L’exploration d’un tel modèle à quatre marqueurs s’avère pertinente, puisqu’elle donne un portrait plus fin de l’agentivité des personnages. L’ajout de trois périodes à celles déjà étudiées par Darowski (Darowski, 2014) a permis de confirmer une influence de l’époque. En effet, nos résultats diffèrent selon chaque période. L’approche par période, tributaire des changements sociaux et des évènements historiques, souligne l’influence sociale sur les comics. L’analyse des résultats de la recherche nous a permis de décrire la place des mutantes dans les séries X-men, les différentes expressions de l’agentivité et de l’agentivité sexuelle présentes dans les comics et d’évaluer leurs évolutions.
Bien que les comics s’adressent prioritairement à un public masculin, ces publications participent à une représentation des deux genres, à ce qui leur est attribué et imposé. Les comics sont donc un objet culturel de choix pour étudier l’image de chacun des genres. Les comics sont aussi un terrain pour décrypter les rapports de pouvoirs sous-jacents et les structures sociales qui conditionnent l’expérience du pouvoir. La double dimension graphique et textuelle facilite justement la compréhension des concepts. À la fois reflets et acteurs des changements sociaux, les comics sont des outils d’observation, mais peuvent aussi servir d’outils de questionnement. Des ateliers d’intervention sexologiques pourraient ainsi être mis en place pour développer l’esprit critique et la reconnaissance de concepts comme le double standard, l’agentivité ou l’objectification à travers les pages de comics. Le but de ces ateliers serait aussi d’interroger la représentation de la féminité donnée dans les comics, en s’appuyant sur un média populaire pour montrer l’évolution des représentations et la diversité. Ces mêmes ateliers pourraient aussi viser à améliorer la littératie des adolescents et adultes émergents pour déjouer les effets pervers de l’image et des stéréotypes sur la représentation du corps (Behm-Morawitz et Pennell, 2013). La littératie serait
le « fait de disposer d’un ensemble de connaissances et de compétences permettant de reconnaître l’existence d’un besoin d’information et d’avoir la capacité et la discipline de trouver l’information adéquate, de la comprendre, de l’exploiter et de la communiquer, dans une perspective de résolution de problème ou de prise de décision » (OQLF, 2018).
Cette littératie permettrait de prendre de la distance des stéréotypes de genre aussi bien aux lecteurs, qu’aux futurs créateurs et réalisateurs. Les lecteurs qui se réapproprient les personnages et les utilisent dans leurs propres fan fictions, histoires écrites par les lecteurs et partagées entre eux, et les futurs créateurs éviteraient ainsi les pièges réducteurs et le maintien des inégalités de représentations.
Le recueil et l’analyse des différents marqueurs d’agentivité et de l’agentivité sexuelle des mutantes dans les comics Uncanny X-men sur cinquante ans montrent des représentations de femmes plutôt agentives. Cette agentivité s’exprime principalement sur les points de vue sexuels et de pouvoirs, mais les personnages féminins subissent cependant des contraintes et voient leur agentivité diminuer avec le temps. Cette étude permet tout d’abord de confirmer la sous-représentation des personnages féminins. Ensuite, elle poursuit la recherche de Darowski (Darowski, 2014) sur la métaphore du genre en utilisant des données plus récentes. Enfin, cette recherche complète le modèle d’analyse de Clark et Jacobs Henderson (2016; 2018) à trois marqueurs d’agentivités : les idées suggérées, les actes indépendants et les pouvoirs. L’agentivité sexuelle a été ajoutée à ce modèle pour prendre en compte la sexualité des mutantes. Le détail des résultats montre des évolutions multiples. Les idées suggérées par les mutantes sont peu nombreuses et la moitié sont rejetées ou diminuées. Les actions indépendantes sont plus nombreuses durant les années 1975-1983, mais très limitées par la suite sauf entre 2013 et 2015. L’utilisation volontaire de leurs pouvoirs par les mutantes est constante et forte ce qui est normal pour des comics de superhéros, mais des limitations viennent la nuancer. L’agentivité sexuelle est très limitée par l’objectification graphique et textuelle constante, tout en se manifestant particulièrement durant les années 1980 et 2000. L’éditeur Marvel semble plutôt progressiste en se faisant le reflet de changements sociaux et en présentant des personnages féminins forts, indépendants et charismatiques. L’éditeur propose ainsi des modèles variés et non traditionnels de la féminité. Cependant, Marvel participe aussi à l’objectification constante des héroïnes.
Nos résultats documentent à la fois l’effet du genre sur les publications adressées à un plus ou moins jeune public, mais aussi les contenus sexuels et la représentation du genre féminin véhiculée, dévoilant des normes sexuelles et des stratégies de régulation de la sexualité. Cette étude met aussi en avant les choix des créateurs quant à la notion de pouvoir d’agir qu’ils attribuent à leurs personnages. Une application de cette recherche viserait la constitution d’ateliers de développement de littératie sur le genre et sexuelle à partir des comics populaires. Le programme viendrait interroger le rapport au corps à travers l’image, le rapport à la capacité d’agir à travers l’utilisation des pouvoirs et la représentation qui est faite des personnages féminins. L’atelier viserait aussi la reconnaissance du double standard et de l’objectification. La littératie visée permettrait la prise de distance des stéréotypes et pourrait à plus long terme influencer l’écriture des futurs créateurs.
ANNEXE A
QUELQUES INFORMATIONS SUPPLÉMENTAIRES SUR LES COMICS
Le premier comic book, publié en Autriche, daterait de 1842 (Gabilliet, 2005). Le premier comic book américain serait paru en 1933. Le premier comic book avec superhéros est publié en 1938 (Detective Comics#1 introduisant Superman). Le premier comic book considéré comme édité par Marvel est Marvel Comics#1 en 1939 (la maison d’édition avait alors pour nom Timely et deviendra Atlas en 1951 puis Marvel en 1961). Le corps des comics se compose d’une ou plusieurs séries complétées par du matériel extérieur additionnel : des publicités alimentaires, culturelles (cinéma, jeux vidéo, séries télévisées, littérature, autres comics) et de goodies (objets dérivés des comics comme des statuettes, des figurines articulées, des tasses, des vêtements et accessoires…). On trouve aussi parfois un courrier des lecteurs, des dessins et des récits textuels. Tout au début, les comic books (le contenant) sont constitués de plusieurs séries distinctes (le contenu) se déroulant sur trois à quatre pages. Puis la formule se trouve réduite à une seule série, format maintenant classique, se déroulant sur une vingtaine page. Les histoires des comics sont focalisées sur un registre particulier (horreur, crime, romance, western, superhéros), un personnage ou une équipe de personnages. Le titre du comic book est en général celui de la série, ce qui fait que les deux termes sont souvent confondus. Par exemple le comic book nommé The Uncanny X-men publie la série appelée The Uncanny X-men. Par contre, la série Iron Man a d’abord été publiée dans un comic book nommé Tales of Suspense avant d’être publiée dans un comic book nommé Iron Man. Les histoires peuvent durer un épisode ou bien se continuer sur plusieurs épisodes avant de résoudre une intrigue, on parle alors de story-arc, d’arc narratif. Généralement, les séries sont constituées d’une succession alternée, mais non régulière d’épisodes indépendants et d’arcs narratifs. Les comic books sont publiés mensuellement pour la grande majorité, mais on trouve aussi des bimensuels, des trimestriels, des annuels, etc. Le roman graphique est aussi un label plus adulte créé dans les années 1970 qui a permis de faire rentrer les comic books dans les librairies. La création du Graphic Novel et des Comic shops a participé à l’augmentation de l’âge moyen des lecteurs et à la maturation du contenu des comics dès le début des années 1970 (Madrid, 2016).
Les définitions suivantes sont construites à partir du glossaire de Gabilliet (2005) et des informations présentées par Duncan (2015), Jennequin (2002) et Nikolavitch (2016).
Comic Strips : bandes dessinées de quelques cases publiées dans des journaux adressés aux adultes.
Comics : magazine américain, constitué d’histoires en bandes dessinées relatant des aventures et de différentes pages annexes : publicités, histoires textuelles, courrier des lecteurs, informations culturelles, dessins…
Comic Books : à l’origine, recueils de réimpression des comic strips (bandes de quelques cases) publiés dans les journaux. Rapidement et pour des raisons économiques, les comics passent des rééditions à du matériel inédit.
Comic Shop : magasins spécialisés dans la vente de comics créés dans les années 1970. Avant les comic shops, on achetait les comics chez des détaillants ou dans les étals de magasins généraux. Aujourd’hui, on peut acheter les comic-books par Internet, en comic-shops, ou en librairie.
Série (volume) : titre présenté dans un comics. Le comics peut publier plusieurs séries ou bien comme actuellement une seule série. La série se base sur un personnage ou un groupe de personnages. On distingue série régulière, série limitée et maxi-série
Série régulière : série dont le nombre d’épisodes n’est pas déterminé à l’avance.
Série limitée : série programmée pour durer un nombre précis d’épisodes. Le nombre d’épisodes peut varier entre deux et dix épisodes. Les formats les plus classiques sont trois, quatre et six épisodes.
Maxi-série : série programmée pour durer un nombre précis d’épisodes au minimum douze épisodes.
Épisode : histoire relatée dans un numéro de comics et faisant partie d’une série. L’épisode peut être lu de façon indépendante ou appartenir à une histoire plus longue se déroulant en plusieurs parties.
Story arc ou arc narratif sous division d’une série, histoire se déroulant sur plusieurs épisodes d’une seule série. Une série est en général composée de plusieurs story arcs alternés avec des épisodes indépendants.
Crossover : arc narratif ou histoire qui se déroule dans les épisodes de plusieurs séries ou bien qui réunit les personnages de plusieurs séries.
Trade-paberback ou format cartonné : réédition d’un certain nombre d’épisodes, composant en général un arc narratif complet ou un crossover, soulagé des publicités, et avec une couverture plus rigide
One-shot : histoire qui ne dure qu’un seul numéro.
Graphic Novel ou roman graphique : label plus adulte, histoire complète en seul numéro indépendant et dont le déroulement occupe un nombre plus important de pages (Duncan et coll., 2015). La couverture est plus rigide, il n’y a pas de publicité.
Giant-size : Série dont le nombre de pages est plus important que d’habitude. Souvent le double de page.
Omnibus : Trade-paperback regroupant plusieurs numéros d’une série parus la même année, de plusieurs arcs narratifs liés entre eux, ou de plusieurs séries interreliées par exemple lors d’un crossover. On y trouve beaucoup plus de pages qu’un simple trade paperback.
ANNEXE C
DÉFINITION DES POUVOIRS
Définitions construites à partir des fiches des personnages publiés entre 1973 et 1984 dans Official Handbook of the Marvel Universe#1 à 15 et à travers les pages de la série X-men.
Télépathie : transmission de pensée, lecture de l’esprit des autres, projection de pensées, rafales d’énergie psychique. Ce pouvoir est partagé par plusieurs mutantes comme Jean Grey, Rachel Summers, Psylocke et Emma Frost.
Télékinésie : lévitation et manipulation des objets sans les toucher. Jean Grey est la premiére mutante de l’histoire des comics et c’est ce pouvoir que lui ont confié les créateurs de la série X-Men.
Téléportation : déplacement d’un endroit à un autre sans transport ou mouvement. C’est le pouvoir de Magik.
Précognition : connaissance de ce qui va arriver. Destiny et Daniel Moonstar possèdent ce pouvoir.
Intangibilité : Shadowcat, seule mutante à posséder l’intangibilité, a la capacité à traverser la structure moléculaire des objets ou des personnes. Correspond à passer à travers un mur, un plancher, etc.
Contrôle des phéromones : Stacy X est la seule mutante exprimant ce pouvoir. Il s’exprime par la sécrétion de phéromones qui permet de provoquer une réaction précise : souffrance, excitation…
Métamorphose : capacité à prendre l’apparence d’une personne. Le mutant doué de cette compétence est appelé shapeshifter ou métamorphe. C’est le cas de Mystique.
Traitement des informations : Sage effectue un traitement de toutes les données comme le ferait un ordinateur en termes de mémoire, d’évaluation, de comparaison…
Appropriation du pouvoir de la personne par toucher : appropriation des compétences, de la psyché, de traits d’apparence. La puissance du transfert est conditionnée par le temps de contact.
Transformation du son en lumière : pour Dazzler, ce pouvoir se manifeste sous forme de rayons de lumière qui peuvent influencer l’état d’esprit.
Contrôle du temps : pour Tempus, ce pouvoir se manifeste par la capture dans des bulles qui isolent de la temporalité et la possibilité de voyager dans le temps.
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[1] Pour simplifier, nous utilisons l’appellation de la série X-men comme au début de sa publication, mais cette série a changé en cours de route. Elle est devenue Uncanny X-men au #114 en octobre 1978..
[2] Les deux nouvelles séries sont The New Mutants et X-Factor
[3] La série originale nommée Uncanny X-men depuis 1978 permet la publication d’une nouvelle série portant l’appellation X-men en octobre 1991.
[4] Captain Marvel est l’un des seuls noms qu’on retrouve à la fois chez DC et chez Marvel pour des personnages différents. À partir de 2011, pour éviter confusion et problèmes légaux, DC a renommé le personnage Shazam. Chez Marvel, ce sont même trois personnages différents, deux hommes et une femme, qui ont porté le même nom.
[5] Toujours sous le nom d’Uncanny X -men
[6] Nous avons fait une exception pour Jean Grey. Pour pouvoir réincarner la mutante, un auteur a transformé a posterirori la narration. Jean Grey aurait été remplacée temporairement pas une entité cosmique appelée Phoenix qui a pris cette forme pour expérimenter une vie humaine et mortelle. Cependant, la psyché du Phœnix se serait construite d’après celle de Jean Grey, ce qui permet d’interpréter ses actes comme ceux de Jean Grey.
[7] La base de données utilisée étant trop riche, nous nous contenterons de proposer un seul exemple par catégorie.
[8] Les chiffres précédés d’un # correspondent aux numéros d’épisodes de la série. La codification utilisée est la suivante : #1 à 544 pour les épisodes d’Uncanny X-men ; vol 2#1 à vol 2 # 20 pour la première relance de la série, vol 3 # 1 à vol 3 # 35 et # 600 pour la deuxième relance ; GSX pour Giant-Size X-men#1.
[9] L’orthographe et la grammaire sont conservées telles quelles dans les citations.
[10] T&A : Tits and Ass d’après urbandictionnary.com.
[11] Nekra transforme ses émotions de colère et de rage en super force et Frenzy est douée de super-force ce qui se traduit par une musculature plus imposante que les super-héroïnes. On notera aussi que Nekra est albinos, ce qui la pose à la rencontre de plusieurs opressions.
Syndrome de l'imposteur ?
Je vous présente ici une vidéo Youtube de la chaine Macroscopie. La chaine s'intéresse à la science et au fonctionnement du cerveau comme l'effet Kawai des chatons sur la concentration ou la recherche sur la démonstration de l'utilité du sommeil. Dans cette vidéo, nous sommes invités à passer le test de Clance et à observer un phénomène psychique qui peut concerner tout être humain à un moment de sa vie et qu'on retrouve fréquemment chez les doctorant(e)s et même chez les acteurs et actrices.
Le Clitoris, ce grand inconnu ?
Je vous propose aujourd'hui une vidéo de vulgarisation qui s'intéresse à l'histoire du clitoris, organe parfois connu, parfois ignoré selon l'époque et le climat socioculturel. Manon Bril, historienne et youtubeuse nous invite dans cette courte vidéo animée à la rencontre de l'organe et de son traitement historique : un changement parcouru loin d'être sans encombre et trahissant parfois le surintérêt pour la sexualité masculine et le désintérêt pour la sexualité féminine. Aujourd'hui, cette représentation fait partie, en sa version 3d, des interventions en éducation à la sexualité, témoignant d'une progression des connaissances scientifiques et de leurs applications.
Merci à Manon Bril pour proposer des vidéos variées et de qualités. Sa chaine Youtube "C'est une autre histoire" vous invite à explorer les mythes et leurs représentations dans l'art, propose la découverte d'articles scientifiques, interroge nos connaissances historiques et les sources de celles-ci ...
Sources : (photo) Echographie colorisée du clitoris complet. Etudes d'Odile Buisson (2013)
(vidéo) Bril Manon. La conquête du clito. Chaine Youtube, C'est une autre histoire (2020)